samedi 12 juillet 2014



PARU DANS LA MARSEILLAISE - 9 JUILLET 2014 -

« L'homme qui pleurait », enquête sur un « buzz » historique

Pris à Marseille sur la Canebière le 15 septembre 1940, ce cliché légendaire a une histoire confuse. Malgré l’identification formelle en mars 1949 de ce Marseillais ému aux larmes, contrevérités et légendes ont la vie dure.

Jérôme Barzotti a incarné aux yeux du monde et bien malgré lui le visage de la douleur de la France. Le cliché paru le 3 mars 1941 dans Life bouleverse l’Amérique. Photo : Marcel de Renzis

Ce cliché de la Seconde guerre mondiale tourne à travers le monde. Jusqu’en Chine. « L’homme qui pleure » ou « the weeping Frenchman » ressurgit régulièrement sur les blogs, sites, revues, documentaires, expositions. Les internautes sont convaincus d’une énigme à percer. Où et quand cette photo iconique a été prise ? Paris ? Marseille ? Toulon ? Qui est cet inconnu en larmes ? Succombe-t-il à la joie de la Libération ou est-il anéanti par la débâcle des armées françaises ? 

Des légendes trompeuses se sont développées sur l’histoire un peu confuse de cette photographie. « Il s’agit d’un Parisien pleurant à l’arrivée des Nazis à Paris en 1940 » soutient un blogueur suivant la contrevérité la plus répandue sur la toile qui le tient pour « l’inconnu des Champs-Elysées ». « C’est le premier Parisien fusillé par les Allemands le 23 décembre 1940 et il s’appelait Jacques Bonsergent » ose cet autre websurfeur. « Est-il même un Français ou un émigré italien qui a fui la tyrannie de Mussolini ? » s’interroge un imaginatif plein d’audace sur une page FaceBook dédiée à l’énigme. « Il pleure en voyant les soldats français quitter Toulon pour l’Afrique » soutient mordicus un Américain qui ignore que « l’homme qui pleure » a profondément ému l’Amérique à sa première publication dans Life Magazine du 3 mars 1941, page 29. 

« C’est une photo d’une dépêche de l’agence United Press International prise par George Mejat à Marseille en 1940 à l’entrée des Nazis dans la ville » s’emmêle un commissaire priseur qui a mis en 2007 un tirage aux enchères. La vérité ? Ce cliché de légende est extrait d’un court reportage de Marcel de Renzis, photographe au Petit Marseillais et correspondant de l’agence US Keystone, qui filmait le 15 septembre 1940 la cérémonie d’adieu aux drapeaux sur la Canebière. Le réalisateur Frédéric Rossif en a inséré en 1988 les rushes dans sa fresque historique « De Nuremberg à Nuremberg » au tout début (1’40) du deuxième volet « La Défaite et le Jugement » avec ce commentaire en voix off : « Septembre 40. La France est coupée en deux par la ligne de démarcation. Les drapeaux français s’embarquent pour l’Afrique du Nord à Marseille. Partout dans le monde, la photo de cet homme symbolisera la tristesse et la défaite de la France. » Mais l’image suivante est trompeuse, propice à la confusion. C’est celle de Jacques Bonsergent, le premier fusillé civil parisien. 

Septembre 1940. Voilà quatre mois que l’armistice du 22 juin 1940 a été signée en forêt de Compiègne. Le 24 octobre, Pétain ira serrer la main d’Hitler à Montoire scellant la Collaboration. Marseille est déjà une nasse qui se referme sur des milliers de réfugiés et de soldats perdus. Les hôtels sont bondés. On loue des baignoires pour dormir. Les Nazis ont ordonné la dissolution de régiments français. Le 1er septembre, vingt drapeaux de régiments dissous arrivent en gare St-Charles où un cortège silencieux accompagne les étendards repliés dans leur gaine de cuir. Les passants se découvrent à leur passage vers la Préfecture où ils rejoignent six autres drapeaux de régiments nord-africains qui « en ces heures incertaines » vont embarquer pour Alger. La cérémonie d’adieu du 15 septembre est décrite dans la presse locale comme un pur moment émotion. Une foule s’est massée en ce dimanche dès 10 heures pour voir les 35 drapeaux déployés sortir de la Préfecture, passer rue St-Férréol aux fenêtres pavoisées, descendre la Canebière pour atteindre le vieux port où six autres étendards des régiments d’Afrique du Nord sont montés dans un navire qui largue les amarres pour Alger sur l’hymne de La Marseillaise. 




Le Petit Marseillais bientôt collaborationniste titre « Adieux aux drapeaux » et décrit l’ « atmosphère de douloureuse apothéose » qui « étreint les coeurs, mouille de larmes bien des yeux ». « De nombreux spectateurs éclatent en sanglots tant cette minute est chargée d’émotion. » Marseille-Matin parle de « drapeaux présentés à la vénération de la foule » où « tant d’yeux pleuraient sous l’effet d’une émotion intense ». Puis le cortège remonte la Canebière.

Le Petit Marseillais du 2 sept 1940
Marseille-Matin du 16 sept 1940


















Le Petit Marseillais du 16 sept 1940


C’est à cet instant que la caméra de Marcel de Renzis capture « l’homme qui pleure » devant la Bourse. Le cortège se poursuit boulevard de la Madeleine (rebaptisé de la Libération), boulevard National pour finir à la caserne du Muy où les drapeaux sont conservés telles des reliques. Marcel de Renzis envoie sa pellicule au correspondant de Keystone à Vichy. Pour déjouer la censure, elle est confiée à un diplomate étranger qui une fois à Lisbonne la met dans l’avion pour New-York où elle sera largement diffusé. Elle parait dans Life Magazine du 3 mars 1941 dans la rubrique « Photo de la Semaine », puis est publiée le 30 mars 1941 en zone libre à la Une de l’hebdo « 7 Jours » avec en titre intérieur « Les drapeaux s’en vont, un Français pleure ».

"A Frenchman sheds tears of patriotic grief
 as flags of his country's lost regiments are exiled to Africa"
La "Photo de la Semaine" dans Life est parfaitement légendée comme ayant été prise à Marseille

"7 Jours" du 30 mars 1941, hebdo 
national imprimé alors à Lyon. 
La larme est visiblement exagérée sur le cliché
 
Page intérieure de "7 jours" du 30 mars 1941






















Le quiproquo avec « l’inconnu des Champs-Elysées » s’installe avec le film de propagande de l’US Army « Diviser et conquérir » de 1943. Son 3ème volet « Pourquoi nous combattons » (Why We Fight) réalisé par Frank Capra insère « l’homme qui pleure » à la 54’50 entre deux vues de Paris. Ce qui fera dire que « l’authenticité de la scène est incertaine et pourrait avoir été reconstituée avec acteurs et figurants en studio » ! On la retrouve en 1944 dans « Depuis 1939 » une brochure de propagande de l’Office d’information de guerre des Etats-Unis sous une photo de l’Arc de Triomphe avec les troupes allemandes.

Brochure de propagande. Office d'Information de Guerre
des USA. US603 FR. Non datée. 1944 ?
         En mars 1949, la NBC se met en tête de retrouver « l’homme qui pleure » classé alors dans les cinq meilleurs clichés au monde. L’Ambassade de France à Washigton prend contact avec France-Soir. C’est la course avec Reuter qui prévient son correspondant à Marseille Jean-Marie Audibert, lequel fonce au Provençal où Renzis travaille. Ce dernier se souvient bien avoir envoyé un film en 1940 mais ne se souvient pas de « L’homme qui pleure ». On réveille Gaston Defferre le patron du Provençal qui accepte de passer le portrait à la Une du 13 mars 1949 avec ce titre « L’Amérique recherche ce Marseillais qui pleurait ».


Le Provençal du 103 mars 1949
Le Figaro 14 mars 1949
Le Provençal du 14 mars 1949

Le lendemain, Stefano Bistolfi (1909-2000), ancien gardien de but de l’OM dans les années 30, le reconnaît ! « L’Amérique le cherchait nous l’avons retrouvé », titre Le Provençal bientôt suivi d’articles de France Soir et du Figaro. « L’homme qui pleure » s’appelle Jérôme Barzotti. Il a 59 ans. C’était bien lui aux côtés de Charlotte son épouse, la dame en noir au chapeau incliné. Ce 15 septembre 1940, il a d’ailleurs peut-être sans le savoir croisé Simone Weil la philosophe qui ce jour-là trouvait refuge avec sa famille dans Marseille.

David COQUILLE




« La photo est touchante, 

on est fier de lui dans la famille »

Nous avons retrouvé le neveu de « L’homme qui pleure ». Il nous parle son oncle, un brave négociant en tissus de la rue du Tapis-Vert.



Robert Barzotti, 69 ans, est le neveu de « l’homme qui pleure ». Il vit en Corrèze et croyait jusqu’à notre appel que son oncle Jérôme Barzotti (1890-1976) pleurait de joie au défilé des troupes alliées à la Libération de Marseille. Il a accepté d’évoquer la figure de cet oncle dont il se dit fier et qui n’aima jamais cette célébrité qu’il jugeait imméritée, du refus qui était le sien de se faire la moindre publicité autour de cette photo mondialement connue qui n’a finalement jamais cessé de le poursuivre. Une de ses cousines à Marseille nous a tenu le même discours. « Mon expression était celle d’un homme qui avait le coeur serré par le spectacle auquel il assistait. Je ne faisais du reste que traduire le chagrin de tous les Marseillais qui s’étaient ce jour-là massés sur la Canebière » dira Jérôme le jour de son identification le 14 mars 1949. Il avait déjà vu la photo. En 1948 d’ailleurs, un touriste belge qui l’avait reconnu à Chamonix où il passait ses vacances était venu lui serrer la main. A sa mort, le 27 novembre 1976, Le Provençal avait remis Jérôme Barzotti à la Une, « Le Marseillais qui pleure est mort », se trompant d’ailleurs sur la date du cliché (juillet 1940 au lieu de septembre). 


Comment réagissait votre oncle à la vue de cette photo et du film ?

RB : Il était complètement contre. Il refusait qu’on fasse de la publicité autour de ça. Il n’était pas fier de cette photo. Je ne sais pas si c’est bien d’en parler vu que de son vivant il ne voulait pas. Il m’avait donné son avis là-dessus. Il disait «ils m’ont pris en photo sans que je m’en rende compte mais il n’y avait pas que moi qui pleurait dans la foule ce jour-là ». Il disait que ça aurait pu être quelqu’un d’autres. Les avis sont
partagés dans la famille. Pendant longtemps, on n’en a plus parlé jusqu’à son décès où les journaux l’ont de nouveau publiée.

Vous pouvez nous parlez de lui, de sa personnalité ?

RB : C’était le frère de mon père. Il était l’aîné de deux frères. Il était d’origine corse. Son père était né à Marseille mais d’une famille d’Ajaccio et sa mère était de Bonifacio. C’est bien Charlotte sa femme que l’on voit sur sa gauche sur la photo avec son chapeau noir. Ils n’avaient pas eu d’enfants. Il habitait 59, boulevard Hugues à Saint-Barnabé (12e) dans une villa où j’ai passé une bonne partie de mes vacances.

Que faisait-il dans la vie ?

RB : Il était à la tête d’un commerce de tissus. Il avait ses bureaux rue du Tapis-Vert (Ndr : au 15A) à Marseille. Je me souviens qu’il dessinait lui-même les motifs colorés qu’il faisait imprimer pour les revendre à une clientèle en Afrique du Nord. Il avait une âme d’artiste. Il était extrêmement sensible. Il chantait bien, il peignait aussi et écrivait des poèmes. Il a toujours été très élégant comme on le voit sur la photo.

Quel est votre sentiment en revoyant cette image ?

RB : La photo est touchante. On est fier de lui dans la famille. C’est vrai qu’on était un peu contre quand on le voyait. C’était un homme très discret. A son décès, l’oncle apparaissait partout dans les journaux alors qu’il n’a jamais accepté. C’était quelqu’un de très simple qui ne souhaitait pas se mettre en avant. Mon oncle était quelqu’un d’important pour moi. C’était quelqu’un de très patriotique, de très français. Dans les réunions de famille, on en a parlé. Moi j’étais fier car j’étais patriote comme lui mais on n’en faisait pas non plus un pataquès. Quand j’étais jeune, mon oncle était un peu un exemple pour moi donc je trouvais que c’était bien qu’il lui soit arrivé ça dans la vie. Des Américains étaient venus à une époque jusque dans la rue à Saint-Barnabé pour lui faire des propositions qu’il a toujours refusées d’ailleurs. Il n’y tenait pas du tout.

Vous réagissez comment lorsque vous tombez sur lui à la télé ou sur un site Internet ?

RB : Quand il apparaît sur un film, on est un peu contre car on sait qu’il ne voulait pas. On se dit « Ah si Jérôme voyait ça ! ». Une fois, il est apparu à la télé, on a été surpris. On sait que ça peut arriver.
Propos recueillis par D.C.

Le Provençal du 29 novembre 1976






lundi 23 juin 2014

Gardes sous-traitées à l’hôpital Clairval


Délibéré du 23 juin 2014
Les quatre médecins de Clairval sont déclarés coupables mais dispense de peine à l'égard de chacun avec non mention au casier judiciaire. L'Ordre des Médecins est débouté pour défaut de démonstration d'un préjudice réel et certain.

Article du 27 mai 2014 (La Marseillaise) 

Quatre médecins jugés pour exercice illégal de la... médecine. 

Trois médecins étrangers ont comparu hier pour avoir effectué des gardes le week-end à l’hôpital Clairval sans y être habilités. De 3 à 5.000 euros d’amende dont partie avec sursis ont été requis pour ces délégations de garde illégales par leurs titulaires en nombre insuffisant, pratique assimilée à de l’exercice illégal de la médecine. Le parquet a réclamé de 15 à 20.000 euros d’amende ferme à l’encontre du praticien recruteur « qui en a profité ». « Il y avait c’est une évidence une logique économique dans tout cela », a dit le procureur Ludovic Leclerc. Sentiment partagé par l’Ordre des médecins : « On nous dit qu’il n’y pas assez d’effectifs. La prestation sous-traitée est surtout moins onéreuse. »

« On pourrait même parler de travail dissimulé » 
Une information judiciaire initiée en mars 2008 par une famille après le décès d’un proche au service de réanimation cardiologique  - et clôturée par un non lieu - avait révélé une « sous-traitance » des gardes par les cinq médecins titulaires pourtant inscrits au tableau officiel des gardes tandis qu’un second tableau officieux affiché dans les services mentionnait les noms de médecins étrangers employés dans les hôpitaux publics mais pas encore inscrits à l’ordre. Ces « juniors » du public étaient rémunérés directement par une société commune à ces « seniors » du privé, sans jamais apparaître aux yeux de la direction de la clinique ni de l’Urcam.
Le code de la santé publique est strict : dans les établissements privés, les permanences doivent être assurées par un cardiologue faisant partie de l’équipe médicale du service ou à défaut par un cardiologue connu de la clinique et ayant les diplômes. « Finalement c’est un arrangement. On pourrait même parler de travail dissimulé puisque officiellement vous n’avez pas fait la garde », retient la président Christine Mée qui souligne que non seulement le médecin étranger « faisant office d’interne » a été mis hors de cause dans le décès du patient mais « qu’il n’est pas l’objet de cette audience de remettre en cause les compétences des uns et des autres. Vous apparaissez comme des médecins brillants, compétents et dévoués ».

« C’était une pratique tellement courante dans le public », s’est défendu le Dr. Hage, cardiologue libanais formé en Urkraine et payé 450 euros pour sa nuit de garde. « Je pensais que le titulaire était sur place à l’hôpital sinon je n’aurais pas accepté. Je me suis senti humilié comme jamais de ma vie quand les policiers sont venus chez moi et m’ont menotté. La direction de Clairval devait veiller sur les désignations des gardes. » Protestation identique du Dr. El Kamel, anesthésiste réanimateur tunisien : « On ne m’a pas demandé de certificat d’équivalence ni de licence de remplacement.» La présidente lui rappelle qu’ils étaient seuls et sans assurance civile professionnelle dans des services de réanimation où il peut se passer n’importe quel incident. « C’était sur-sécuritaire à Clairval », répond-il. Situation plus délicate pour son compatriote Guesmi : l’attestation produite indiquait qu’en tant que junior, il ne pouvait faire de  gardes qu’exclusivement dans un établissement public sous l’autorité d’un senior. 
« On les avait assurés qu’ils ne seraient jamais tout seul dans l’établissement », affirme de son côté le cardiologue Alain Cornen qui les a recrutés « par le bouche à oreille en prenant les plus aptes et les plus compétents, sans considérer la nationalité » et en disant ignorer les subtilités de la réglementation...
Délibéré 23 juin. 
David COQUILLE