vendredi 26 avril 2013

Les excuses de Mas, l’angoisse des victimes

6.012 femmes sont constituées parties civiles au procès de Marseille pour demander réparation de la tromperie.

27 avril 2013. Jean-Claude Mas n’est pas compatissant mais au fil du procès, il doit penser que ses excuses non homologuées pourraient comme son gel à l’huile industrielle, être homologuables. « Je demande pardon aux patientes pour la tromperie faite par PIP. J’espère que la nature des débats sera de nature à les réconforter, cela devrait bien les soulager », a poussé le septuagénaire qui encourt 5 ans d’emprisonnement et 375.000 euros d’amende. Il nie l’escroquerie, reconnaît la tromperie sans la circonstance aggravante de l’exposition au danger.
Après huit journées complètes d’instruction du dossier, les positions des autres prévenus n’ont pas changé. Hannelore Font, directrice qualité, reconnaît avoir su l’existence du gel frauduleux mais pas son caractère dangereux. Pareil pour Loïc Gossart, directeur de la production, qui se dit responsable moralement mais pas pénalement. Claude Couty, le DG, « assume » mais qu’à compter de 2009 quand il s’est « posé des questions sur la dangerosité ». Thierry Brinon, son directeur R&D, se couvre, nie tout même la dangerosité qu’il pointait pourtant jadis. Hier, il a ironisé dans un long couplet sur les absents : « Les bâtisseurs de la fraude en 2001 sont absents de ce procès. Je n’accepte pas le concept de « démission blanchissante » surtout quand cela se termine par une transaction. J’ai essayé d’utiliser tous les moyens dont je disposais. Mon prédécesseur vertueux qui passe pour un héros n’a rien fait et a laissé perdurer. Ceux qui sont partis, ils n’ont rien fait après alors qu’ils n’avaient plus de lien contractuel. »
Sur la question de la dangerosité des implants PIP, un rapport officiel anglais de juin 2012 rejoint les conclusions de l’ANSM en France : « Les implants PIP sont clairement de qualité inférieure bien qu’il n’existe aucune preuve d’augmentation significative du risque de problèmes cliniques en l’absence de rupture », résume le National Health Service et ils ne « sont pas associés à un risque accru de cancer du sein ou d’autres formes de cancer par rapport aux autres implants mammaires ».

« La confiance dans le corps médical, pour moi c’est terminé »
C’est bien l’angoisse majeure exprimée à Marseille par nombre de victimes, outre les souffrances physiques et morales endurées par les opérations d’explantation recommandées par les autorités de santé de nombreux pays. Elles sont précisément 6012 à s’être constituées parties pour demander réparation de cette tromperie à grande échelle.
« Ils m’ont fait vivre un enfer. On m’a pris mon entreprise. Ils ont ruiné ma vie. S’ils mangent leur pain noir aujourd’hui, moi c’est de la vache enragée que je mange chaque jour », a lancé hier Christine aux prévenus. Sandrine « Vous dites qu’on se plaignait pour du fric mais ce sont vous M. Mas et vos acolytes qui ont agi pour le fric, pour vos salaires confortables ! », a crié Sandrine.
« J’attends justice. C’est la seule chose qui nous reste. Que ce procès serve d’exemple dans ce pays où l’on fait du profit sur la santé », s’est indignée Julia pour qui « la confiance dans le corps médical, pour moi c’est terminé. » Après une reconstruction difficile suite à un cancer du sein mal diagnostiqué au départ, elle reçoit une lettre de l’Institut Curie la prévenant qu’elle porte un implant PIP. « La terre s’est mise à trembler. Cette lettre, c’était une agression. J’ai eu une colère à avoir envie d’ouvrir les fenêtres et de crier. Mais vers qui je me retourne ?! Où est le corps médical ?! » L’avocate de l’Institut Curie constitué partie civile a alors pris la parole : « L’Institut Curie a placé 573 prothèses PIP. Nous avons envoyé cette lettre préventivement à nos patientes avant la médiatisation. Nous sommes votre agresseur et nous en sommes désolés. » Le procès reprend lundi avec les plaidoiries des parties civiles.
David COQUILLE

« Vous avez pleuré sur vous, pas sur nous ! »

Témoignages dignes et bouleversants de femmes victimes qui dénoncent le déni de réalité de Mas

26 avril 2013. Le temps des victimes, de leurs questions, de leurs peurs et de leur colère aussi. Après l’âpreté de débats souvent pointilleux, le procès du fabricant PiP de prothèses mammaires viciés et de quatre cadres a donné la parole aux parties civiles. Une tribune grand écran pour des suppliciées bouleversante dont la part de vérité s’est déversée comme de la chaux sur les prévenus.
« On m’avait dit que c’était la Rolls de la prothèse », raconte Christine qui après un cancer voulait « réparer quelque peu ce qui avait été endommagé. » Quatre opérations déjà quand éclate l’affaire PiP. « Le chirurgien me dit qu’il faut l’enlever. Pour moi c’était de l’ordre de l’agression. Mes proches m’ont supplié d’y retourner. Des chirurgiens me disaient «j’en ai posé des PiP et alors ?!» Son récit se tourne alors vers les prévenus. « Il y avait des verrous contre ce Geo Trouvetou et ces professeurs Tournesol et ils ont tous sauté ! Le premier verrou, c’était Hannelaure Font. Qu’on ne me dise pas quand on est directrice qualité qu’on a du accepter sous la contrainte ! Le deuxième verrou, c’était les organismes de certification. Et là j’ai pas le syndrome de l’anxiété mais de la perte de confiance totale. Le troisième verrou, c’était l’ANSM et ses explications sont indécentes. Je n’ai pas de haine mais du mépris », conclut Christine.
Elle est toute menue, toute émue, tassée face au micro pour parler des « mutilations » qu’elle a endurées. Valérie avait gardé huit ans cette prothèse qui « m’a rendu ma féminité » « J’aimerais tellement laisser ici ce qui est rentré dans mon corps. » Cette huile dans mon corps qu’est-ce qu’elle devient ? Elle se diffuse partout avec quel effet ? C’est là la source de mes incertitudes et de mes questions », lui succède Christine qui après avoir perdu un sein en 2002, avait accepté une prothèse pour « retrouver un volume, permettre à mon compagnon de se remplir les mains ». Arrive mars 2010, « l’annonce de la fuite intempestive de cette prothèse » suivie d’un ganglion cancéreux. « Là je n’avais pas autant envie de me battre... » Les mots lui brûlent les lèvres. Il faut encore parler. « Dans cette histoire, je ne peux m’empêcher ayant été enseignante de m’interroger sur le type de société qu’on veut promouvoir. Ce n’est pas criminel que l’on veuille de l’argent mais quand ça devient supérieur à la vie des personnes. Qu’on ne traite pas les personnes comme un moyen mais comme une fin ! »

« Toutes ces souffrances dues à une tromperie »
Discrète entre toutes, Karine, sourde et muette qu’une interprète seconde de ses mains. « J’arrivais pas à avoir d’informations, c’était encore plus difficile avec ma situation de surdité, une sorte de double angoisse. »
Katia, elle, est « venue témoigner par délégation du cas de ma soeur». Les pleins pouvoirs pour Edwige décédée d’un cancer en 2011. Edwige, c’est l’autre volet «homicide involontaire» toujours à l’instruction. « Toutes ces souffrances dues à une tromperie qui a amené à 5000 victimes, des femmes toute troublées et qui ont toute peur que la finalité soit pour elles, la même qu’Edwige. »
Un cri vient d’Espagne. Patrizia, le roulé des «R» et la légèreté de Victoria Abril. « Pourquoi il continue le procès madame la juge ? Y a pas assez de preuves ?! Et mon chirurgien qui voulait porter plainte contre moi ?! Allez je m’arrête, c’est mieux. » Rires dans la salle. Autre cri mais de colère celui-là : « Vous êtes tous responsables et coupables du mal que vous nous avez imposés ! Mademoiselle Font, vous avez pleuré sur vous, pas sur nous ! Monsieur Brinon, comment pouvez-vous regarder votre mère dans les yeux ?! Vous ne fabriquiez pas des bibelots mais des prothèses pour des corps de femmes. Cette culture d’entreprise basée sur le mensonge est insupportable. Vous nous avez oubliées ! », jette Joëlle, explantée « le jour de mes trente ans de mariage ». Ginette, Karine, toutes dignes et belles comme Rachel qui tremble et hoquète : « C’était juste pour remonter ma poitrine, j’avais eu trois enfants. » Bruits de mouchoir.
David COQUILLE
Les débats du procès en direct sur www.lamarseillaise.fr.

J.C Mas, des excuses bidon comme son gel

Le fabricant d’implants viciés s’excuse du bout des lèvres puis clame : « mon gel, c’est le meilleur ! »

25 avril 2013. Accusé de tromperie aggravée et d’escroquerie, Jean-Claude Mas, le fabriquant d’implants mammaires remplis d’un gel à l’huile industriel bon marché et non déclaré, a pour la première fois, esquissé des excuses hier aux victimes. Des excuses du bout des lèvres et formulée comme son gel, sans grande cohésivité ! Pour la sincérité, chacun appréciera : « Je reconnais la fraude », acquiesce-t-il d’abord à la présidente, Claude Vieillard. « J’ai trompé les chirurgiens c’est évident. Je l’ai écrit dans une lettre à l’Afssaps et j’ai demandé aux patientes d’excuser PIP et son fondateur. » Voilà c’est dit qu’il s’était déjà excusé... Et sur la dangerosité de son gel au siloprene U65 moins destiné à gonfler des faux seins qu’à imperméabiliser les composants électroniques ? « De peur de me tromper, je préfère me taire », lance-t-il, finaud, à l’avocat de Tüv le certificateur qu’il sèche encore en demandant du temps avant de répondre s’il reconnaît ou pas l’escroquerie par dissimulation de son gel lors des audits. Comprenez : « Je veux réfléchir aux conséquences de mes réponses... » « Vous avez eu trois ans pour y réfléchir ! », cingle Me Olivier Gutkès.

« Peut-être suis-je un perfectionniste ! »
Finalement comme ça le démange Jean-Claude Mas se lance dans la zone rouge : « La dangerosité n’existe que dans le cerveau des journalistes et peut-être de certains cadres. S’il avait été dangereux, on le saurait depuis 20 ans ! », proclame celui qui regarde toujours son gel « comme le meilleur ». « Vous avez entendu les victimes ? », tente le procureur Ludovic Leclerc « Je pense à elles. Mais y a pas que PIP dans le monde. Tous les fabricants ont des problèmes. Rien n’est implantable, c’est un dogme. Par contre le corps tolère le silicone. » De se lancer dans une démonstration qu’il conclut d’un : « Cela répond un peu à votre dangerosité ? »
« Si votre gel était si bon que ça, pourquoi y avoir apporté toutes ces modifications ? » bondit la présidente qui s’entend répondre : « Peut-être suis-je un perfectionniste ! » - « Pourquoi avoir indemnisé des patientes si votre gel était si parfait ? » - « C’est normal la garantie. (son portable sonne de nouveau ) Ah mais c’est pas vrai ! » De poursuivre comme s’il parlait de pneus de voiture à remplacer : « Le corps d’une patiente change dans le temps. Si les prothèses sont rompues et qu’elle avait du 190 centimètres cubes, 10 ans après on change le volume, on lui met du 210 centimètres cubes sinon ça tombe, ça va pas. »

« C’est pas parce qu’on reste qu’on cautionne »
A l’opposé de la déposition digne et humaine d’un témoin le matin. Alban, 39 ans, était directeur technique chez PIP jusqu’en 2006. Il était opposé au gel PIP. « Loïc Gossart et Hannelore Font se sont battus avec moi pour la réintroduction du gel Nusil. Claude Couty nous comprenait. N’y parvenant pas, il part. « C’est simplement un problème de morale et d’honnêteté qui vous fait dire que vous ne pouvez pas utiliser ce gel. Je ne suis pas un carriériste dans l’âme. » Mas avait refusé sa démission. « M. Mas me disait que je me retrouverai à vendre des pizzas dans un camion. Quand vous avez un problème de conscience, soit vous partez soit vous cherchez à modifier les choses. Et c’est pas parce qu’on reste qu’on cautionne. C’est un problème de conscience personnel et ça devient dur de dénoncer son employeur. On ne dénonce pas parce que c’est votre employeur et que 100 personnes bossent et leur famille derrière. » Alban parle, un flot libérateur, calme et posé. « Ce ne sont pas des décisions faciles à prendre, il y a le chômage. Les personnels se font bouffer de l’intérieur avec leurs problèmes de conscience. Moi, j’étais à bout de souffle mais ma décision était prise et rien ne pouvait la changer. »
David Coquille
Les débats du procès en direct sur www.lamarseillaise.fr.

mardi 23 avril 2013

« C’était bien dissimulé, une belle organisation »

Deux inspecteurs de l’Afssaps racontent la découverte du gel frauduleux et renvoient la balle sur le certificateur Tüv

Au procès du scandale des implants mammaires PIP remplis de gel industriel, l’Agence française de surveillance du médicament s’est retrouvée hier sur le grill aux côtés de Tüv Friedland, le certificateur allemand pourtant constituée partie civile. Ont-ils tardé et manqué à leur devoir de vigilance ?




    « On ne va pas non plus faire le travail des organismes certificateurs. On intervient en second niveau. Avec 6 inspecteurs pour contrôler des milliers de dispositifs médicaux, clairement on se base sur des campagnes d’inspections ciblées », n’a pas manqué de rappeler Jean-Christophe Born, l’inspecteur de l’ex-Afssaps lors de son audition. Lui et son collègue Thierry Sirdey vont découvrir la fraude quand le 1er mars 2010, ils sont alertés d’une montée de ruptures des implants. Lors d’une réunion à Paris le 19 décembre 2009, trois cadres de PIP avaient livré des explications cohérentes.   
    Les 16 et 17 mars 2010, les deux inspecteurs descendent à La Seyne-sur-Mer tout inspecter. « J’étais parti sans suspicion de fraudes », dit-il. Le premier jour, ils visitent les locaux de production très bien tenus, lisent la documentation. Puis, M. Born a une intuition en se souvenant avoir discuté la veille avec son collègue de photos de fûts étranges stockés prises à l’extérieur de l’usine et envoyées le 30 novembre 2009 par un mystérieux « praticien expert ».

« Avec 9 tonnes, cela aurait fait du 9 kilos par implant ! »

Le second jour, il veut alors voir ces fûts. « On s’est rapproché des clôtures et on a vu sur les étiquettes le nom Silop. » C’est une huile non médicale utilisée pour imperméabiliser les plaques de composants électroniques... « On a commencé à s’inquiéter. Je suis allé vers les fûts. Les étiquettes avaient disparu. J’ai demandé qu’on nous tire les fûts. Le magasinier ne voulait pas. Et là on a retrouvé les étiquettes des matières premières. » L’inspecteur interroge. « On ne nous répondait pas. Ce qui m’a beaucoup surpris c’est que le directeur de production ne sache pas. Je m’inquiétais, je demandais dans les étages des explications. Jean-Claude Mas ne s’en souvenait plus. Il disait qu’il avait fait de la recherche avec. Le directeur du développement me disait que cela avait servi à faire 1000 échantillons, mais je voyais qu’avec 9 tonnes, cela aurait fait du 9 kilos par implant ! » Ainsi démarre le scandale qui va vite s’internationaliser. « Oui, c’était bien dissimulé et sans la photo c’était bien difficile mettre le doigt dessus. Là où il faut une belle organisation pour ne pas montrer la moindre trace des produits, c’est pour les audits.»
    « Il est clair que le gel n’était pas approprié au comportement d’une prothèse et dans le temps n’était pas viable. Aujourd’hui, on attend d’une prothèse qu’elle dure 10 à 15 ans », témoigne Thierry Sirdey, l’inspecteur évaluateur. Avec les prothèses PIP, le risque de rupture avant 5 ans est 30% supérieur aux autres marques et « oblige à des ré-implantations prématurées ». « C’est là où réside le risque en terme de santé publique ». Sur la dangerosité intrinsèque, « il n’a pas été démontré de cytotoxicité ni de génotoxicité », le gel qui transsude sur les tissus humains serait juste irritant. Quant à Tüv qui certifiait les implants, sa position ne varie pas : « Nous avons été trompés par la société PIP qui pratiquait une fraude de grande ampleur. Nous ne sommes pas des inspecteurs ni des policiers. Nous ne recherchons pas les fraudes de manière active. »
David COQUILLE

« Je ne le faisais pas de gaieté de coeur »

Des salariés qui savaient et une agence de surveillance restée sourde aux signaux d’alerte.
Des salariés qui savaient mais ont laissé faire, une agence de surveillance qui a compris mais trop tard. Au procès PIP, la vérité brille de toutes ces facettes. L’ex-directeur de l’évaluation de plusieurs dizaines de milliers de dispositifs médicaux de l’Agence nationale de surveillance du médicament, ex-Afssaps, est venu dire hier au 5ème jour du procès à Marseille que « la responsabilité de la surveillance du fabricant de prothèses » incombait au « premier niveau » à l’organisme certificateur, Tüv Friedland, bornant le rôle de l’ANSM « en second niveau » à de la collecte de données d’alertes de pharmaco-vigilance.
    « Ce système réglementaire a des limites », a bien été obligé de reconnaître Jean-Claude Ghislain  qui reçoit 12.000 signalements chaque année. Ainsi les rapports d’audit de Tüv, le certificateur allemand des implants PIP ne lui étaient communiqués. « Cela reste un problème général d’opacité du système. On peut en tant que de besoin réaliser des contrôles de second niveau qui viennent après ceux des organismes certificateurs. » De pointer aussi la carence des chirurgiens qui respectent peu l’obligation de déclarer les incidents. Depuis l’ANSM développe des outils d’analyse pour détecter les signaux d’alerte perdus dans le bruit de fond. « C’est typiquement la problématique sur les implants avec des incidents à bas bruit et à fréquence faible. Nous avions eu 8 signalements de chirurgiens en 2007 puis 34 en 2008. Cela a attiré notre attention. » A l’été 2009, on sait qu’il se passe quelque chose sans toutefois identifier l’origine des ruptures précoces d’implants. Les responsables de la société PIP répondaient que leur process de fabrication n’avait pas changé. Une fois le retrait des prothèses du marché le 30 mars 2010, l’Afssaps reçoit 4.000 déclarations rétrospectives d’explantations pour des ruptures d’implants ! « C’est dramatique pour nous de constater que si nous avions eu en temps et en heure ces signalements des chirurgiens, nous aurions pu aller plus rapidement à la conclusion », remarque M. Ghislain. Sur la dangerosité des prothèses  au gel PIP dont 20% connaissent des anomalies avant la 6ème année, « Clairement ces implants occasionnent un danger du fait des ré-interventions mais à ce jour, les données ne permettent pas d’objectiver un surrisque de cancer. »
    Une agence parisienne aveugle, des salariés muets à la Seyne -sur-Mer. « Je ne sais pas pourquoi je n’ai pas eu l’idée de dénoncer les choses. Je n’avais aucune raison de douter de la dangerosité. Le gel n’était pas déclaré mais cela ne voulait pas dire qu’il ne répondait pas aux normes. Je regrette de ne pas m’être posée de questions plus tôt », a dit Malika, l’ingénieure qui tentait d’améliorer la formule du gel  de Jean-Claude Mas. Hervé l’informaticien était chargé d’effacer avant chaque audit les traces des « fournisseurs indésirables ». Il baisse les yeux : « Je ne faisais pas la bascule de gaieté de coeur. La dénonciation, ça ne fait pas partie de mon vocabulaire. C’est vrai qu’on peut toujours être rebelle mais moi je n’ai pas refusé. » « Après chaque audit du Tüv, les services fêtaient ça en faisant un pot et ça repartait comme avant » se souvient  Valérie en charge de l’hygiène à PIP.
David COQUILLE

samedi 20 avril 2013

Implants PIP : La recette expliquée...

Face à Hannelore Font, Jacques Dallest est sorti hier de ses gongs : « Il faudra que vous nous expliquez en quoi consiste la fonction de directeur qualité ! Cela ne vous a jamais posé de problèmes de conscience que vos prothèses soient remplies avec du gel non conforme à usage non médical ? Donnez-nous une réponse ! »
En garde à vue, la jeune femme avait livré la recette de la maison PIP concoctée par Jean-Claude Mas :
« Les prothèses sont remplies de gel par l’orifice laissé. Au départ il y a une huile de silicone introduite dans l’enveloppe. Cette dernière est à nouveau passé au four et c’est à ce moment-là que le mélange se transforme en gel. L’orifice est bouché avec de la colle. Les prothèses sont désinfectées dans un bain d’eau oxygénée, rincées et emballées dans leur emballage final. Ensuite les prothèse partent au laboratoire Sterlab pour la phase de stérilisation qui se passe avec un gaz oxyde d’éthylène. L’emballage est perméable à ce gaz. La prothèse reste environ 10 jours dans leur laboratoire. La prothèse revient chez PIP. Sur le lot revenu il y a des tests par échantillon effectué par le service contrôle qualité. 5 prothèses par lot sont testées. Il s’agit d’essais mécaniques : découpage de l’enveloppe, test de pénétrabilité sur le gel de silicone. Sur les éprouvettes (morceaux de l’enveloppe) il y a un essai purement mécanique (résistance de l’enveloppe et de la zone de collage). Il y a aussi la vérification de la phase de stérilisation : on place des bandelettes contaminées dans l’emballage et on vérifie que toutes les bactéries sont mortes. Il y a aussi une vérification du taux d’oxyde d’éthylène résiduel est conforme. »
D.C.

« Tromperie oui, mais aggravée ça veut dire quoi ? »

20 avril 2013. Pour Jean-Claude Mas, cuistot des implants PIP, son gel low-cost n’était certes « pas réglementaire » mais « pas plus dangereux qu’un autre »

Son gel, c’était son bébé et Jean-Claude Mas, trois ans après l’explosion du scandale mondial qui a soufflé son usine à implants mammaires n’en démord pas : « Pendant 30 ans, on a utilisé le même gel. Il n’est pas plus dangereux qu’un autre. Il y a des tas, des tas de test de bio-compatibilité qui ont été effectué. Tous les gels sont irritants mais pas toxiques. Je n’ai jamais changé les ingrédients. » Ses remords sont pour son usine, pas sur les victimes pour lesquelles il n’aura pas un mot : « C’était la plus belle fabrique de prothèses mammaires, tout était nickel pour aller sur le marché américain quand je l’ouvre 2 janvier 1992 ! »

« J’ai été fabriqué. Je suis le grand Satan ! »
Même son gel à base d’huile industrielle à usage non médicale, et bien rien à redire, une super invention ! Que la présidente Vieilard et les parties civiles lui assènent qu’il n’a aucun diplôme de chimie ou de biologie et qu’il n’aurait jamais du cesser de vendre du vin et du saucisson sur les marchés plutôt que de se lancer dans les faux seins, il reste de marbre : « Je suis celui qui le connais le mieux ce gel de manière empirique. Le gel PIP n’était pas homologué mais il était homologuable. » A 72 ans, Jean-Claude Mas est droit dans ses bottes, le verbe haut, le ton sûr, le phrasé catégorique. « Il y a eu de la délation de je ne sais pas qui. Je n’ai aucune haine. La haine c’est un luxe que je ne peux pas me payer. » Il n’est pas celui que décrivent ces victimes. « J’ai été fabriqué. Je suis le grand Satan. » Quand la présidente, Claude Vieillard lui demande s’il reconnaît les faits, il a cette réplique magistrale. « Tromperie oui, mais le mot aggravé ça veut dire quoi ? »
La présidente : « Cela veut dire que l’aggravation résulte de ce que les faits ont eu pour conséquence de rendre l’utilisation dangereuse pour la santé des personnes en raison du risque de rupture d’implant. » Idem pour l’escroquerie sur Tüv l’organisme certificateur : « Ce sont des nuances juridiques que j’ai essayé de me faire expliquer... »
Son ex-bras droit, le financier Claude Couty, n°2 de PIP, fait aussi dans la dentelle de Calais : « J’ai permis la vente de lots non homologués mais je n’ai jamais eu conscience du danger. La dangerosité était exclue de mon esprit. Je n’ai pas eu conscience de l’importance de ce problème réglementaire.» De toute façon, Mass n’en faisait qu’à sa tête : « Il pense avoir la science infuse. Il n’accepte pas le conseil des autres. » Le procureur Dallest bondit : « Vous ne vendiez pas des savons mais des implants mammaires. Quand en 2008, vous avez connaissance d’une flambée de ruptures de ces produits vous ne vous posez pas de question sur la dangerosité du gel ? Cette non-homologation, c’est quand même la bombe à retardement dans cette entreprise ! »
Scène de repentances larmoyantes pour Hannelore Font, directrice qualité chez PIP : « Je tiens à m’excuser auprès des patientes qui ont eu à souffrir de n’avoir pas été à la hauteur. » Pour autant « le gel ne pose pas de problèmes pour la santé ». Tout pareil pour Loïc Gossart, ex-directeur de la production : « Je ne me considère pas pénalement responsable. On était 120 madame. C’était un système complet de fonctionnement de la société. Vous ne pouvez pas changer tout seul un processus qu’on vous inculque depuis des années.»
« Entre 450 et 500.000 implants frauduleux ont été vendus depuis 2001 quand j’arrive en 2006. Des gens avant moi étaient des spectateurs avisés de cette fraude. Ils n’ont même pas été entendus. Je n’avais que des pouvoirs opérationnels et pas décisionnels dans cette société », s’exonère Thierry Brinon le directeur de la production. « Hasard de la vie », il a appris avec l’affaire que sa mère atteinte d’un cancer portait un implant PIP frauduleux ! « J’ai pas démissionné car je me suis dit c’est bien de rester pour comprendre au cas où » Sa mère, elle, ne s’est pas constituée partie civile.
David COQUILLE


Le procès PIP dans la guéguerre des nullités

19 avril 2013. Les victimes s’impatientent de voir le tribunal entrer au cœur du scandale des implants mammaires.

Après deux jours d’une épuisante bataille d’incidents de procédure, le tribunal devrait enfin entrer dans le vif du procès de la vaste tromperie mondiale d’implants mammaires au gel non conforme et entendre les prévenus.
Le cadre judiciaire de l’affaire PIP s’apparente à un mécano géant sur lequel le procureur de la République a dû s’expliquer, faisant oeuvre de pédagogie devant le désarroi d’une centaine de victimes perdues dans ces âpres débats juridiques auxquels elles assistent depuis deux jours. « Je comprends les parties civiles qui doivent douter de nos échanges techniques mais il faut en passer par là. C’est la rançon de notre démocratie », leur a dit Jacques Dallest qui a justifié le mode complexe des poursuites : une enquête préliminaire avec citation directe pour «tromperie aggravée et escroquerie» surmontée de deux informations judiciaires distinctes , toujours en cours, ouvertes d’une part pour «blessures involontaires», d’autre part pour «banqueroute, abus de biens sociaux et blanchiment».

18 mois d’enquête, 3 ans de procédure
La raison ? « Le cœur de la prévention est la tromperie aggravée par sa conséquence sanitaire qui incrimine le fabricant avec ses différents responsables. Le ministère public a jugé opportun de rester en enquête préliminaire car le délit était constitué. » Mais, précise le procureur, « le débat reste ouvert sur l’aspect «blessures involontaires» pour savoir si les prévenus ici présents peuvent être poursuivis de ce chef. » De rappeler urbi et orbi, que « le ministère public n’agit ni sous pression politique ni sous un diktat médiatique ». « Ce dossier, c’est 18 mois d’enquête, 3 ans de procédure. Nous ne sommes pas dans une justice d’exception mais dans un processus pénal cohérent, digne, honorable. Son cadre a été étudié, analysé. » A ses yeux - et les victimes lui sauront gré de cette sollicitude officiellement exprimée – « un procès au bout de trois ans, c’est trop long mais c’est un délai raisonnable. En information judiciaire, cela aurait été, mesdames, dix ans peut-être avant d’avoir un procès. » De glacer leurs attentes en matière de dédommagement : « Les préjudices corporels, c’est pas forcément à cette audience-là qu’il faudra les présenter. M. Mas a été hué et il le sera encore quand on abordera l’aspect financier. »

Tüv Friedland attaquée
Il fut question fortement hier de la constitution de partie civile de Tüv Friedland. L’organisme certificateur allemand des implants mamaires PIP, a été vivement mis en cause par Me Christine Ravaz pour ses plaignantes : « Leur constitution de partie civile est illégitime ! Jean-Claude Mas est un mégalomane qui s’est toujours vanté de ce qu’il faisait. Tüv savait, Tüv a couvert. Tüv ne peut prétendre être partie civile ici ! Nous ne pouvons pas accepter que celui qui a accepté que ces produits soient vendus, Tüv, soit assis sur le même banc que nous. Dans 50 pays, Tüv est considéré comme coupable, pas comme victime ! »
Réplique d’Oliver Gutkès pour Tûv : « On tente de clouer Tüv au pilori médiatique ! Il n’y a eu aucun manquement à la réglementation, pas d’amateurisme, mais un système généralisé quasiment mafieux qui a trompé nos auditeurs pourtant rompu à leur exercice professionnel. »
David COQUILLE

Le procès PIP sous les huées des victimes

18 avril 2013. Le tribunal tranche ce matin les demandes de renvoi présentées par la défense. La tension excessive de cette première audience est à la mesure du gigantisme de cette affaire de tromperie.

Une vague de robes noires et de victimes remontées. Le procès de Jean-Claude Mas et de quatre ex-dirigeants de la société PIP s’est ouvert hier dans la salle d’audience délocalisée du Parc Chanot de Marseille, suivi par près de 400 plaignantes qui, dans cette étrange ambiance de justice foraine sinon de kermesse judiciaire, ont manifesté tout haut leur ressentiment.
Cette première audience très procédurière était consacrée aux requêtes de la défense demandant le renvoi sine die du procès le temps de déférer une « question prioritaire de constitutionnalité ». La Cour de Cassation s’est déjà déclarée incompétente pour statuer sur une requête en « suspicion légitime » dirigée contre le tribunal.
Jean-Claude Mas était, lui, arrivé avec une demi-heure d’avance avec son avocat Me Yves Hadad. Un silence tétanisé a d’abord accueilli l’entrée de la figure de proue du scandale des prothèses mammaires. L’homme âgé de 73 ans, habillé d’un pantalon de velours marron et d’une veste marine et jaune vive, était aussitôt assailli, englouti par un pack de dizaines de journalistes et de cameramen, douché par les flash comme une star traquée. De longues minutes de débordements avant qu’un service d’ordre n’intervienne. Ses co-prévenus, Claude Couty, Hannelore Font, Thierry Brinon et Loïc Gossart s’étaient plus discrètement installés dans la salle.

Le «vertige» de la défense, la «nausée» des parties civiles
Après avoir décliné son identité, l’ex-président fondateur accusé de tromperie aggravé et d’escroquerie répondait qu’il percevait « 1.700 voire 1.800 euros de retraite », déclenchant les huées et risées de nombreuses victimes assises au fond de la salle. « Connard ! », l’apostrophait bruyamment une femme. Le public s’est laissé aller à de régulières manifestations d’hostilité et de ressentiment sans que la présidente Claude Vieillard ne parvienne à installer son autorité.
« J’ai le vertige à présent. Le gigantisme de ce procès est exceptionnel », déclarait Me Christophe Bass, l’avocat de Claude Couty qui dénonçait le choix du parquet de scinder l’affaire : le volet « blessures involontaires » étant encore à l’instruction avec le volet financier, ce qui à ses yeux porte atteinte aux droits de la défense si le procès du volet «tromperie» devait avoir lieu. D’insister : « Ce procès n’est ni lisible ni compréhensible alors que l’instruction continue d’investiguer ».

« Ils sont déjà ruinés par la décision que vous rendrez ! »
« Ceux qui sont derrière moi, on ne peut pas les accuser comme ça ! Ils sont déjà ruinés par la décision que vous rendrez », s’agaçait Me Jean Boudot, conseil de l’ex-directrice de la qualité chez PIP, plusieurs fois chahuté et hué par les victimes. « On n’a jamais eu autant de parties civiles. 50 mails de constitutions par heure. Une Brésilienne, une Syrienne, une Roumaine... On n’a jamais eu à affronter ça. Ce procès est unique. C’est la première fois dans l’histoire procédurale française que le ministère public choisit la citation directe sans passer par l’information judiciaire »
Prenant exemple de milliers documents techniques anglais qu’il est impossible à sa cliente de faire traduire en raison des coûts mais qui lui sont indispensables pour prouver que « le taux de rupture des implants PIP n’est pas forcément supérieur à ceux des concurrents », Me Boudot prévenait : « A 40 euros la page, on me refuse la traduction alors je vous les verse en anglais. Voilà où nous conduisent ces choix procéduraux ! »

« Notre honnêteté et loyauté »
Le procureur de la République, Jacques Dallest, justifiait le cadre juridique des poursuites qu’il qualifiait de « réfléchi et concerté » : « Le code de procédure pénale est un et indivisible qu’il y ait un ou des prévenus, une ou des milliers de victimes. Qu’on ne nous reproche pas notre honnêteté et notre loyauté. Ce n’est pas facile cette procédure. Nous avons fait application exacte de la loi pénale dans un souci de justice.»
Les parties civiles refusent évidemment tout renvoi. « Les prévenus ne peuvent se prévaloir de leur propre turpitude pour demander au conseil constitutionnel de faire suspendre le procès en renvoyant le dossier pour qu’il reste dix ans à l’instruction », pestait Me Olivier Gutkès rejoint par l’avocat de l’Agence nationale de sécurité du médicament, Me Pierre-Olivier Sur : « L’enquête préliminaire en circuit court, c’est 97% des affaires. Alors qu’on ne vous demande pas de priver les victimes du procès ! »
Laurent Gaudon, avocat de 1600 victimes en rajoutait : « J’ai entendu parler de vertige. Pour nous, partie civile, c’est plutôt la nausée. » Les victimes l’acclamaient avec Me Christine Ravaz qui exigeait de savoir si Jean-Claude Mas avait des « comptes offshore dans le Delaware ». « Tout ça c’est complètement dilatoire avec pour seul but de salir la justice ! », concluait Me Philippe Courtois qui glissait en passant que parmi ses 2600 victimes, certaines souhaitaient la peine de mort...
David COQUILLE

lundi 15 avril 2013

Le mobile raciste pas reconnu des juges

Dix mois de prison avec sursis pour une ratonnade dans les serres.

Le droit, une appréciation souveraine, une sensibilité variable aussi. Contrairement au représentant du parquet, le tribunal correctionnel d’Aix-en-Provence n’a pas cru au racisme dans l’affaire de la « ratonnade » du hameau des Baisses à Lançon-de-Provence.
Six jeunes lançonnais de 18 à 28 ans, défendus par Me Ludovic Depatureaux ont été reconnus coupables, hier, de violation de domicile et de violences aggravées et tous condamnés à 10 mois de prison avec sursis contre 9 mois requis dont 4 ferme par le procureur Marion Menot. Le mineur du groupe avait eu un rappel à la loi. Dans la nuit du 20 au 21 décembre 2011, le troupeau s’était lancé en cagoules, treillis et rangers, dans une expédition armée contre des jeunes ouvriers agricoles maghrébins dormant dans un misérable cabanon près des serres à salades. Les assaillants les regardaient, sans la moindre preuves, comme responsables de dégradations et vols dans le quartier.
Mais les juges ont écarté la circonstance d’intention raciste que le procureur avait soutenu dans ses réquisitions le 18 mars. « Cette intention raciste n’était pas votre première motivation qui était d’aller faire votre justice vous-même », a commenté, hier, le président du tribunal, Benoît Delaunay, face aux jeunes gens venus prendre condamnation.
Les textos échangés entre les protagonistes étaient pourtant sans équivoque. « Tu veux venir ce soir o arabe ? », « Se soir, ratonnade ». « On a préparé des cartouches de gros sel, on va faire la battue au clando », s’était vanté l’un d’eux au bar du coin. « On en a marre de l’insécurité. On a voulu faire justice nous-mêmes. On a fait n’importe quoi. On a déconné complètement », avait reconnu l’aîné du groupe, Nicolas, un maçon de 28 ans. « Ils sont allés taper de l’arabe. Le racisme était là. Les propos, les termes sont là si les mots ont encore un sens. A croire qu’il est difficile de faire juger le racisme dans nos prétoires », réagit Me Olivier Lantelme, avocat d’une des jeunes victimes, très déçu du délibéré. Sentiment partagé par Me Clément Dalençon. Les deux avocats espèrent à présent que le parquet qui les avait entendus interjettera appel du jugement. Le tribunal a alloué 3.000 euros à deux des trois victimes frappés et 900 euros pour leurs frais.
David COQUILLE

dimanche 14 avril 2013

Kathryn Gustafson : « La porte d’une ville d’une grande force »

Le portrait de Kathryn Gustafson est de la photographe Julie Harmsen
Vingt ans plus tard, la célèbre architecte paysagiste américaine Kathryn Gustafson, jointe par téléphone à Londres, redécouvre son œuvre qu’elle commente. Et en français s’il vous plaît.
 
Comment expliquez-vous que votre ouvrage, une référence dans l’urbanisme paysager, soit ignoré et même oublié des autorités ?
Les choses changent dans le temps. J’avais remporté l’appel d’offres en 1993 avec la DDE qui me demandait d’utiliser la plus grande quantité possible de terre extraite du tunnel de la L2. J’ai utilisé presque un million de mètres cubes de remblais pour modeler une entrée extraordinaire de Marseille. Quand on franchit le tunnel de l’Estaque, on passe dans un monde merveilleux. Cette zone très naturelle est tout à fait exceptionnelle. Il y avait toute une logique pour tous ces murs en gabions que j’ai dessinés et qui structurent l’espace, un peu comme des terrasses qui montent dans la colline en utilisant un équilibre en forme de fémur qui impose une progression. On va ainsi de l’infrastructure à la nature. Tous ses murs en gabions, nous les avons complètement dessinés en 3D. Et il y a vingt ans, la 3D, c’était une première. On a réalisé une maquette en argile puis en plâtre que nous avons scannée sur un logiciel qui nous donnait des informations très précises sur le site. Mais le projet des Pennes-Mirabeau n’a pas été réalisé exactement comme on le voulait au départ. Dans l’axe Nord-Sud, les mouvements de terre n’ont pas été construit correctement, cela devait coûter trop cher.

N’est-ce pas désolant de voir votre réalisation oubliée des administrations, ignorée des Marseillais, inachevée et au final dégradée, contemplée des seuls lapins ?

Des lapins sur le site ? Il y en a partout en France, il faut les manger ! (rires) Effectivement c’est un peu en ruines. L’oubli, c’est normal. C’était il y a vingt ans. C’est la première fois que je les revois [nous lui avions mailé des photos] avec du tagging dessus. C’est étonnant car c’est dur d’accéder au site. Je trouve les colonnes toujours très belles. C’est un site que les automobilistes voient en passant sans pouvoir s’y arrêter mais il n’y avait rien d’intentionnel à cacher l’ouvrage.

Dans ce vaste aménagement paysager de l’échangeur, que viennent dire ces singulières colonnes ?

C’est un objet culturel sur l’imperméabilisation de la terre, de l’eau qui retourne lentement, doucement dans le système naturel. Ces colonnes sont une représentation du volume visuel de l’eau égale à l’imperméabilisation que nous avons fait de la terre.
Je voulais que l’on voie sur les colonnes la marque des eaux pluviales collectées dans le bassin de rétention. Toutes les colonnes devaient être dans des graminées, des herbes qui bougent avec le vent avec la même fluidité que l’eau. Il devait y avoir une autre série de colonnes, des « bougies »  avec une petite éolienne qui alimente une lumière en haut. Elles n’ont jamais été réalisées. C’est toujours le problème des budgets de projets d’infrastructure. C’est dommage que cet ouvrage soit oublié et pas entretenu car on ne sait pas où il commence et où il s’arrête.
Si vous avez un moyen de restaurer cela, ce serait bien car mon but était de faire une porte d’entrée sculpturale de grande force de Marseille. Car Marseille est une ville qui a une force de vivre. Marseille, c’est une ville superbe, extraordinaire. J’y ai encore de très bons amis. J’ai songé à y vivre mais le mistral me faisait trop peur !
Entretien réalisé par D.C.

Les sentinelles oubliées de Kathryn Gustafson

Land Art. Les secrets d’une rocade fantôme, la L2, nous conduisent en dehors de Marseille sur les traces d’un ouvrage insolite, perdu, oublié depuis vingt ans et dont on vient de percer le mystère.

Elles sont là, pareilles à des sentinelles qui tiennent l’entrée nord de Marseille, énigmatiques, sans nom, plantées dans l’herbe détrempée d’un vaste bassin de rétention creusé à la confluence des autoroutes A7 et A55 sur la commune des Pennes-Mirabeau.

    Treize colonnes de béton brut, en courbe, à la chute du tunnel des Treize-Vents qui franchit le massif de l’Estaque, alignées en plan horizontal parfait, muettes comme des statues de l’île de Pâques. Chacun d’entre nous les a un jour aperçues en allant sur Vitrolles ou en revenant de Martigues. Seuls les automobilistes peuvent voir ces géants de béton. « J’ai jamais su ce que c’était », s’étonne un riverain du quartier de la Cabassette qui les aperçoit au loin depuis des années. Un sentier à travers bois connu des taggers nous guide vers ce no-man’s land incroyablement calme et champêtre, investi par les lapins. Le spectacle de mégalithes alignés est saisissant à l’épicentre de ce vaste spaghetti autoroutier où se déversent chaque jour le flux torrentiel de 230.000 véhicules du Grand Marseille. Mais qu’est-ce donc ?
     Au départ de cette intrigue urbaine, un renseignement nous signalant ces vestiges comme l’oeuvre d’un prof d’urbanisme de Luminy, ce que démentait l’Ecole nationale supérieure d’architecture de Marseille. Aucune trace à la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement de ce qui est très visiblement un ouvrage d’art. Rien non plus à la Direction interdépartementale des routes Méditerranée, héritière dans ses sous-sols des archives de l’ex-DDE. Force est de constater que l’ouvrage a disparu des mémoires, effacé des administrations en restructuration. « On voudrait intervenir dessus, on ne saurait même pas ce que c’est », s’étonnait-on à la DIRMED. Interrogée en mars 2012, la Direction régionale des Affaires culturelles excluait que ce fut une réalisation au titre du “1% artistique”. Elle lançait toutefois sa propre enquête pour tirer au clair cette énigme et triomphait dix mois plus tard, grâce à la ténacité de Mireille Jacques, l’assistante de la conseillère pour les arts plastiques. De nous révéler en janvier 2013, une surprise de taille : « L’ouvrage constitué de 13 piliers situé entre Marseille et Vitrolles à l’embranchement des autoroutes A55 et A7 qui n’est visible qu’en voiture, a vraisemblablement été conçu dans les années 93/94. Il est l’oeuvre de Kathryn Gustafson. »

« Une belle histoire d’une oeuvre qui n’est peut-être pas révélée »

    Les treize piliers au centre du vaste échangeur autoroutier des Pennes-Mirabeau - 12 hectares de superficie - sont bien l’oeuvre de cette architecte paysagiste américaine de renommée internationale. Au sein de deux cabinets, Gustafson Porter (Londres) et Gustafson Guthrie Nichol (Seattle), cette plasticienne de 62 ans, formée à Paris, a imprimé son identité sculpturale à de nombreux espaces publics dans le monde. Sa réalisation la plus connue se trouve à Londres : la fontaine à la mémoire de Diana, Princesse de Galles, à Hyde Park en 2004. Les réalisations de cette « sculptrice du paysage » sont une réflexion sur l’histoire d’un site,  la nature qui l’environne, la conscience physique de l’écoulement dans le temps et dans la terre d’un fluide essentiel, l’eau. Ainsi d’un ouvrage mémoriel qu’elle réalise actuellement : le Jardin du Pardon de Beyrouth.
    Cette francophile diplômée de l’Ecole nationale supérieure du paysage de Versailles a livré à la France des oeuvres remarquables qui empruntent au mouvement Land Art. Ainsi des Jardins de l’Imaginaire (1997) à Terrasson-la-Villedieu en Dordogne. C’est encore à Kathryn Gustafson que l’on doit l’aménagement très zen du jardin intérieur (ci-contre) de la Cour d’Appel d’Aix-en-Provence qui fait ressurgir une noria du XIIème siècle.
 On lui doit le square des droits de l’homme a à’Evry, le Square Rachmaninov à Paris. Jusqu’au design d’une nouvelle génération de pylônes EDF, C’est donc cette plasticienne reconnue qui, voilà vingt ans, a légué à Marseille sa « porte d’entrée ». « C’est une belle histoire d’une oeuvre qui n’est peut-être pas révélée ni lisible pour les profanes mais si cet échangeur énorme a une âme, c’est bien le résultat de son travail », se souvient Régine Vinson qui collabora au projet quand dans les années 90, la Direction départementale de l’équipement, maître d’ouvrage pour toutes les constructions routières, multipliait les collaborations innovantes avec plus de 70 architectes, et paysagistes pour l’insertion urbaine et sociale d’une rocade. La L2, lancée en 1993, n’a toujours pas vu le jour et se pose déjà la pérennité d’une oeuvre oubliée réalisée à sa périphérie...
David COQUILLE

vendredi 12 avril 2013

Voix du Gaou : il faudra encore baisser le son

Le rapporteur public sauve le festival mais requiert une obligation absolue de respect des nomes acoustiques.

Le rapporteur public de la cour administratif d’appel de Marseille n’a pas soutenu hier la demande d’interdiction des concerts au Gaou, telle que formulée par un riverain excédé depuis des années par les nuisances sonores de ce festival varois dont le succès va croissant depuis 1997, attirant jusqu’à 42.000 personnes.
La cour était saisie en appel par un résident secondaire, Jean-Luc Delmas, et une association pour la protection des sites et du littoral du Brusc et de la presqu’île du cap Sicié, d’une décision du 27 février 2011, du tribunal administratif de Toulon. Les juges avaient certes reconnu une carence fautive de la commune qui n’avait pris « aucune mesure pour remédier aux nuisances sonores avant 2008 » et l’avaient condamnée à dédommager ce riverain à hauteur de 15.000 euros. Mais les premiers juges ont omis de tenir compte du rapport déposé par le dernier expert en acoustique. C’est pour ce grief formel, que le rapporteur a demandé l’annulation du jugement.

« Trouver le juste équilibre »
Pour autant, le rapporteur, M. Salvage, a considéré sur le fond qu’une mesure d’interdiction totale serait disproportionnée s’agissant d’une manifestation culturelle qui « répond à l’intérêt général ». Le festival est désormais exploité en délégation de service public. Le rapporteur public prend acte de l’ensemble des mesures prises par la commune pour diminuer les nuisances sonores : adoption d’un nouveau système de diffusion des fréquences graves, nombre d’enceintes porté de 18 à 9, axe de diffusion acoustique réorienté de 90 degrés vers la mer, annulation des concerts en cas de vents trop forts, etc.

Un avenir délicat
« L’exercice est délicat pour le maire mais nous comprenons les riverains qui doivent vivre pendant le festival. Il faut trouver le juste équilibre quant aux nuisances imposées », analyse le rapporteur, rassurant sur l’existence même de ce « désormais célèbre festival » : « Il ne nous parait pas qu’il soit nécessaire d’interdire le festival eu égard à son importance. Il faut trouver une solution », souligne le magistrat dont l’avis est généralement suivi.
En conclusion, il requiert à la cour d’« enjoindre le maire à prendre toutes les mesures possibles pour l’édition 2013 et à imposer une obligation absolue de respect des normes acoustiques pour l’édition 2014. » Il demande aussi que soit réhaussé à 25.000 euros l’indemnisation du plaignant pour le bruit engendré sur dix dernières éditions. Une réserve cependant - « Pour l’avenir, c’est plus délicat » - et en cas d’échec - « il est plus qu’improbable que la commune dispose d’un autre site ».
« Les émergences sonores ont augmenté. La commune n’a pris aucune mesure véritablement efficace », a objecté l’avocat des plaignants, Me Patrick Gaulmin, qui somme l’organisateur d’adopter les propositions de l’expert en acoustique, Alain Chamboissier, notamment de tenir le seuil de 90Db en sortie d’enceinte et non plus 100Db. « M. Delmas n’est pas contre le festival. Il veut passer un mois de juillet tranquille. Or il a des camions et des gens qui passent et jettent des canettes. C’est infernal. » - Réplique immédiate du président rapporteur, M. Pocheron : « Maître ! Quelques jours d’été quand même ! On le connaît le festival ! » - « Il préférerait sans doute un festival de musique de chambre », glisse en douce le président de la cour, Gérard Ferulla.

« Le maire de Six-Fours n’est pas Harry Potter ! »
« Il est faux de dire que la commune n’a rien fait ! Depuis 2008, nous n’arrêtons pas mais techniquement il n’y a pas de solutions pour le moment. Le maire n’est pas Harry Potter ! », a contesté Me Oliver Grimaldi pour la commune de Six-Fours-les-Plages. « Allouer 2.500 euros par édition sur dix concerts, c’est honteux dans cette histoire », concluait-il. Quoiqu’il en soit la 17ème édition des Voix du Gaou aura bien lieu du 16 au 26 juillet prochains. La cour rendra son arrêt d’ici trois semaines. « Je ne sais pas si notre arrêt fera autant de bruit que les Voix du Gaou », a souri le président.
David COQUILLE

jeudi 11 avril 2013

Le colonel Luc Jorda au bas de l’échelle

Le parquet requiert la relaxe pour harcèlement moral d’une capitaine.

Le directeur du Sdis des 1 100 sapeurs-pompiers professionnels des Bouches-du-Rhône jugé hier après 11 ans de procédure pour harcèlement moral sur sa chef des ressources humaines. Luc Jorda, 62 ans, en poste depuis 1997, est accusé d’avoir bloqué la carrière du capitaine Isabelle Bérard, 48 ans.
Entrée au Sdis en 1989, cette officier avait vu sa carrière bloquée depuis 1999. « C’est difficile pour une femme d’être sapeur-pompier. Il faut faire ses preuves tout le temps. Il refusait de me noter », explique-t-elle. Le 17 avril 2012, la cour administrative d’appel lui a accordé 10 000 euros sur ce dernier grief. Isabelle parle de brimades, d’insultes, d’obstacles mis à son avancement, jusqu’à des accusations de détournement. Son colonel ne communiquait plus que par post-it. Elle se retrouve isolée dans un Algeco, « avec des journées à ne rien faire ». « Il m’a oubliée pendant 7 ans. On me donnait à faire ce que les emplois jeune refusaient de faire, coller des étiquettes », raconte la capitaine contre laquelle son colonel émettait systématiquement des avis défavorables, refusait ses stages de formation. « Elle n’avait pas le niveau ! », réplique Luc Jorda qui, d’une phrase, tombe de la grande échelle : « Elle m’a demandé de la nommer commandant, je ne le pouvais pas pour des raisons de quota. Nos relations se sont dégradées. J’avais des pressions de Mme Bérard. »
La présidente, Estelle de Revel, lui lit le témoignage d’un sapeur : « C’est un homme colérique. Je l’ai entendu la traiter de "petite peste", de "connasse". Si on n’entre pas dans le système Jorda, on est écarté, mis au ban de la vie du Sdis. » La réplique fuse : « Ce commandant, nous avions dû le relever de ses fonctions pour du trafic de pièces détachées dans son service ! »

« Le Sdis n’est ni un zoo ni une jungle »
Jorda avait repris à Isabelle le véhicule de service alors qu’elle était d’astreinte. « Qui a décidé de venir récupérer son véhicule dans son jardin ?! C’est vous le responsable ! », se crispe la présidente. « Je ne m’occupe pas des détails. J’ai donné un objectif. Cela faisait cinq semaines qu’elle était en maladie », admet le colonel. Le patron du Sdis livre sa méthode : « J’essaie de casser les copinages et les groupes qui se forment. Je fais en sorte que les gens tournent pour qu’il n’y ait pas de rente et de cooptation. Elle était sans cesse en opposition avec sa hiérarchie. Je n’avais pas confiance car sa manière de servir était de tout contester. » Un syndicaliste, Jean-Bruno Boueri, de la CGT Services publics, salue le courage de l’officier victime, et fait mouche : « Le Sdis n’est ni un zoo ni une jungle mais un service public qui mérite que les agents soient respectés pour leur mérite et leur dignité. » Le parquet craque : « Vous avez un boulevard pour la relaxe ! » « Vous êtes un pompier de papier ! », lance Me Laurent Gaudon, partie civile, au colonel. « Le Sdis est sous coupes réglées sous la férule de Jorda. Aux uns les bonus, aux autres les malus », ajoute Me Vincent Euvrad pour le syndicat autonome des sapeurs.
Délibéré le 6 mai.
David COQUILLE

mardi 9 avril 2013

Le service d’aide aux victimes à l’agonie

L’Etat ne veut plus financer le SAVU, cette force d’action rapide au soutien des victimes de délinquance.

« Le service d’aide aux victimes d’urgence de Marseille est à l’agonie », s’émeut le Syndicat de la Magistrature (SM) dans une lettre au Garde des Sceaux, rendue public devant la gravité des enjeux et dans laquelle il presse Christiane Taubira de « mettre tout en œuvre » pour sauver ce dispositif pionnier.
Le service d’aide aux victimes d’urgence (SAVU) est en quelque sorte la force d’action rapide de l’association d’aide aux victimes d’actes de délinquance (AVAD), une structure si indispensable à la Justice qu’elle est conventionnée avec la cour d’appel d’Aix-en-Provence. Le SAVU mis en place en 2003 subit depuis quelques années un étouffement financier progressif dans une ville qui « fait pourtant l’objet de toutes les attentions politiques et médiatiques », rappelle le syndicat.
« Aujourd’hui, écrit le vice-procureur Benoît Vandermaesen, délégué régional du SM, cette mission est menacée par l’annonce d’un désengagement financier total de l’Etat pour 2014, après une réduction de sa contribution, passée de 353.000 euros en 2009 à 170.000 euros en 2013.” Les collectivités locales - Ville, Conseil général - déjà mises à contribution pour suppléer à cette dérobade étatique, ne peuvent plus suivre.

« Une véritable mission de service public »

Le SAVU a déjà dû licencier près de la moitié de son personnel mettant à mal sa mission de réponse immédiate à des populations frappées de plein fouet par un acte dont le retentissement psychologique doit être pris en charge dans les plus brefs délais. « Cette aide matérielle, juridique et psychologique est d’autant plus indispensable à Marseille que les victimes se trouvent souvent en grande difficulté du fait de la grande précarité sociale et économique frappant la majorité d’entre elles. Pour ces personnes, le SAVU assure une véritable mission de service public », insiste le syndicat.
Le SAVU de Marseille, ce sont aujourd’hui 7 professionnels (des accueillants, un psychologue clinicien, une directrice, une secrétaire) qui interviennent de jour comme de nuit, six jours sur sept, jours fériés compris, en relation avec les services de police et de justice, pour aller à la rencontre de près de mille victimes par an, les conseillent, les accompagnent, y compris dans les hôpitaux, les locaux de police et de gendarmerie et parfois même au funérarium. Ce sont eux qui recherchent des hébergements d’urgence pour une femme qui vient de subir de graves violences conjugales mais aussi de victimes par ricochet d’un acte de suicide, d’un accident de la route ou de tout autre fait commis dans des circonstances traumatisantes.
Ce rôle éminent, les juges du SM le soulignent dans leur lettre à leur ministre. « A Marseille, le SAVU a conquis sa crédibilité en donnant satisfaction aux victimes et en gagnant la confiance de l’ensemble des acteurs des politiques publiques, notamment les services de police et l’institution judiciaire. »
Le désengagement financier de l’Etat induit des situations dont on mesure concrètement l’impact dans le quotidien des juridictions. Ainsi, l’AVAD seule association d’aide aux victimes habilitée depuis 2001 par le ministère de la Justice à exercer des mandats de représentation légale de mineurs, avait du suspendre pendant neuf mois ses missions d’administrateur ad hoc, dépassée par l’afflux de jeunes victimes - jusqu’à 250 dossiers au pénal - que ses faibles effectifs ne lui permettaient plus de traiter. Du coup, des procès avaient dû être repoussés.
David COQUILLE

« Petit marché, grands principes ! »

Le standard téléphonique de Peypin explose en correctionnelle.

Un marché public taillé sur mesure pour un élu, a valu hier matin à l’ancien maire de Peypin, Christian Bourrelly, de se voir requérir 10.000 euros d’amende et 3 ans d’inéligibilité pour complicité de prise illégale d’intérêts et atteinte à la liberté et à l’égalité d’accès aux marchés publics. Même réquisition pour le bénéficiaire présumé, son ancien conseiller municipal, Gérard Gabriel, membre de la commission d’appel d’offre, prévenu lui de prise illégale d’intérêt et de recel au bénéfice de sa société Abyss Communications. « Petit marché, grands principes ! », leur a rappelé le vice-procureur Jean-Luc Blachon.
Corpus delicti ? Un standard téléphonique à 9.059,70 euros acquis par la commune de Peypin (5300 hbts) avec entretien annuel de 5.000 euros dans le cadre d’un marché à procédure adaptée lancé le 4 juillet 2007. L’équipement d’origine ayant déjà été fourni par les sociétés du conseiller municipal Gérard Gabriel, le cahier des charges techniques exigeait du matériel de la seule marque distribuée par Abyss, excluant d’office toute concurrence.
Une information judiciaire était ouverte en mai 2008 sur plainte du nouveau maire, Albert Sale, tout juste élu sur une liste socialiste dissidente alors même que conseiller municipal, il avait lui-même voté pour l’offre Abyss. « Auriez-vous pu dire alors que ça posait une difficulté ? », l’a picoté la présidente Estelle de Revel. « J’en ignorais le montant », a répliqué l’édile dont l’élection a été disputé jusque devant le Conseil d’Etat. En campagne électorale, Albert Sale avait dénoncé ce favoritisme dans un tract. Ce qui conduira Gérard Gabriel à l’attaquer en diffamation. « Pour établir sa bonne foi, Albert Sale a alors déclenché la présente procédure. Et on se retrouve dans l’arroseur arrosé », résumait Frédéric Sarrazin, l’avocat de la commune qui réclame 5.000 euros pour un équipement mal installé à ses yeux, en sus de l’euro symbolique du dépit.

« L’intérêt de la collectivité a été respecté »

« Cela nous semblait naturel dans le cadre de la légalité », a dit hier l’ancien maire Christian Bourrelly. Pour lui, Gérard Gabriel n’a pas participé à la commission d’appel d’offres et il s’est retiré de la séance du conseil municipal pour le vote. « Je ne suis pas venu vous dire que ce sont une bande de copains qui se disputent aujourd’hui. Il a manqué il est vrai a son devoir de surveillance. Dans ce dossier, l’intérêt de la collectivité a été respecté. Plus jamais il ne participera à une élection », a plaidé Me Daniel Vaillant. « J’ai toujours cherché à être impartial. Ce marché ne faisait pas vivre ma société. Dans l’intérêt de la commune, j’ai voulu faire un prix défiant toute concurrence. Je n’avais aucune notion de tout cela, c’est quand je suis passé à l’Evêché que j’ai compris », a expliqué Gérard Gabriel. « C’est un règlement de comptes dans lequel on voudrait que le tribunal s’associe », a plaidé en relaxe Me Yves Soulas. « Ma société est un peu le bouc émissaire des disputes entre l’ancien maire et le nouveau. Entre deux tours d’élections, c’est ma société qui est salie », a pleuré sa fille, gérante de la société contre qui le procureur a requis 30.000 euros d’amende, sans l’interdire de soumissionner. Délibéré 29 avril.
David COQUILLE

Autour d'un taudis de la rue d’Aubagne

Malgré un arrêt jugé clément, Manuel Saez se pourvoit en cassation

D’un côté, un long combat judiciaire, celui d’une misère sociale brute à tous les étages, imposée durant des années aux occupants d’un taudis de la rue d’Aubagne. Une affaire avec un drame puisqu’une veuve et des orphelins déplorent toujours la chute mortelle d’un mari, d’un père dans une cage d’escaliers au garde-corps sommaire dans un immeuble frappé d’un arrêté municipal d’insalubrité et de péril. De l’autre, un entêtement, Manuel Saez, 56 ans, un propriétaire sûr de lui, décidé à échapper à toute répression pénale, nostalgique des 5.000 euros par mois tirés de son « petit bijou » (sic). L’homme qui accuse ses locataires de tous les maux s’est immédiatement pourvu en cassation alors que la cour d’appel d’Aix-en-Provence venait d’adoucir les peines prononcées à son encontre.

« Vous êtes un marchand de sommeil ! »

Dans leur arrêt du 4 mars 2013, les juges d’appel restituaient en effet à ce propriétaire sans scrupules l’immeuble de 5 étages aux 19 logements de misère, situé 29 rue d’Aubagne, que le tribunal correctionnel de Marseille lui avait confisqué par jugement du 14 mars 2012. Mieux, la cour infirmait l’interdiction de gérer. Rappelons qu’à titre de peine principale, la 6ème chambre correctionnelle de Marseille l’avait condamné à 10 mois de prison ferme et 5 ans d’interdiction de gérer, dosé de 50.000 euros d’amende pour sa SCI et son épouse, gérante de droit.
Au procès en appel le 4 février 2013, le président Germain avait pourtant vertement apostrophé le prévenu : « Vous êtes un marchand de sommeil ! » M. Saez, défendu par Me Franck Abikhzer, avait demandé la clémence de la cour, soutenant - on s’accroche - que « les locaux privatifs avaient été loués initialement en bon état, qu’il appartenait aux locataires d’assurer leur entretien, qu’il n’avait pas obligation de doter chaque logement de toilettes, que des toilettes communes étaient à disposition dans l’immeuble ». Les juges d’appel ont confirmé la relaxe d’homicide involontaire « en l’absence de certitude » sur le lien de causalité entre la vétusté de l’escalier et la chute mortelle le 13 février 2007 de Ramadame Fekari, un travailleur handicapé de 56 ans, retrouvé, cinq étages plus bas, le crâne fracassé, au pied de la cage d’escaliers. Pour le reste qui n’est pas rien (habitat insalubre, soumission de personnes vulnérables et dépendantes à des conditions d’hébergement indigne, mise en danger d’autrui, refus délibéré d’exécuter des travaux prescrits par un arrêté de péril, refus de mauvaise foi de reloger), la cour d’appel, sans négliger le « passé judiciaire important » de Manuel Saez, a opté pour une peine qui « doit permettre l’indemnisation des victimes », soit 18 mois de prison avec sursis sous le régime de 3 années de mise à l’épreuve, assortie d’une amende de 50.000 euros d’amende. La cour a en outre alloué 5.000 euros à douze locataires seulement défendus par Me Chantal Bourglan, Me Delphine Calmettes et Me Hajer Amri.
David COQUILLE

jeudi 4 avril 2013

Sourd-muet dans le box

L’index droit frappe l’index gauche pour traduire à l’agresseur d’une octogénaire qu’il est condamné.

Un prévenu sourd muet a été condamné la semaine dernière en comparution immédiate à deux ans de prison ferme assorti d’un mandat de dépôt pour l’agression d’une octogénaire aux Cinq-Avenues.
Pour se faire entendre, il faut en venir aux mains. Une prescription à prendre au sens littérale pour Christophe, 36 ans, agité comme un boxeur dans le box. Les policiers lui ont retiré ses menottes et il se débat à présent comme un beau diable avec ses mains pour s’expliquer. Le garçon est connu de la justice pour avoir été condamné à plusieurs reprises pour conduite sans permis mais surtout pour un vol aggravé suivi d’une tentative d’évasion qui lui ont valu deux ans d’emprisonnement. Il était d’ailleurs sorti de la maison d’arrêt de Luynes il y a tout juste un mois.
Le 25 mars, vers 15 heures, il a suivi une vieille dame près du cinéma des Cinq-Avenues et lui a arraché son sac à main. La victime est tombée par terre, a crié à l’aide puis une fois relevée, indemne, s’en est allée à son club pour personnes âgées. Dans la foulée un témoin a rattrapé son agresseur qui tenait encore deux billets en main et lui a mis un direct du droit dans la tête. « On m’a frappé, j’ai craché du sang ! », proteste le prévenu si volubile que l’interprète peinent à le suivre. D’où la précision que les interprètes en langue des signes font noter sur les actes officiels : « Sous réserve de la bonne compréhension du message donné et reçu ». « Elle était de dos. J’ai pas vu que c’était une personne âgée. Je me suis dit que ce serait facile. Ce qui m’intéressait c’était le sac. » Le président Castoldi fait observer qu’une dame de 86 ans ça s’identifie sans hésitation, même de dos. « Je n’ai pas été aidé à ma sortie de prison pour me réinsérer. Je veux n’importe quel travail ! Imaginez-vous sourd ! J’ai six enfants, je voulais acheter du lait pour mes fils. Le pot de lait vaut 20 euros ! », lance le prévenu à l’interprète qui lui prête sa voix.
L’enquête sociale décrit un adulte aussi vulnérable que sa victime. Il est sourd muet de naissance, a été rejeté par ses parents. Il a des problème d’équilibre, porte une prothèse. Il est père de six enfants de 6 mois à 9 ans et deux sont sourds-muets comme lui. Il vit avec 700 euros de pension AH mais passe son temps à la rue ou en foyer. « Je suis un peu comme tout le monde, je me dispute avec ma compagne. »
« J’ai bien écouté ses explications. Le Robin des Bois de sa famille est une victime ! », peste une jeune substitute du procureur, une jusqu’au-boutiste venue requérir 3 ans de peine plancher alors même que le dispositif vit ses derniers jours. « Il est enfermée dans son handicap. Ce jour-là, il était obnubilé par le sac de la dame », observe en défense son avocate. Le tribunal a écarté la peine plancher. Pour traduire qu’il était condamné, l’interprète a frappé son index droit contre son index gauche. Deux ans de prison ferme. Christophe a supplié qu’on ne l’envoie pas aux Baumettes mais à Luynes, demande notée sur le mandat de dépôt.
David COQUILLE

mercredi 3 avril 2013

Procès PIP : une justice de masse est déjà pointée

Selon la défense, le soutien logistique apporté par le tribunal aux victimes rompt l’exigence d’impartialité.

A deux semaines du procès  pour tromperie aggravée et escroquerie de cinq ex-dirigeants de la société varoise PIP dont son fondateur Jean-Claude Mas qui fabriquait et distribuait des prothèses mammaires viciées, la défense affûte ses armes et dénonce déjà une organisation trop partiale de cet événement judiciaire exceptionnel. La justice foraine ouvrira ses portes le 17 avril au Parc Chanot pour un mois de débats.
Grégoire DULIN, vice-président, secrétaire général de la Présidence et Jérôme BOURRIER, vice-procureur, secrétaire général du parquet de Marseille (Photo AFP)

    Au vu du nombre exceptionnel de victimes, le choix s’est arrêté sur un grand hall d’exposition. Un budget de 800.000 euros a été alloué à l’organisation du procès. Les préparatifs vont bon train pour l’aménagement de ce qui sera le « Pôle d’audience du Palais de l’Europe ». 5.127 plaintes ont été adressées à ce jour au parquet de Marseille dont 220 plaintes étrangères provenant en majorité d’Autriche et d’Argentine. Formellement, 1.100 constitutions de parties civiles ont été reçues et 300 avocats sont déjà désignés dans ce procès de masse. Le nombre de porteuses d’implants susceptibles de se constituer parties civiles est considérable : 30.000 femmes en France en sont porteuses. Leur nombre dans le monde oscille entre 350.000 et 500.000. Sur les conseils du ministère de la Santé, 14.327 femmes ont déjà choisi de se faire retirer l’implant.
    Le « Pôle d’audience du Palais de l’Europe » est un espace modulaire de 4.800m2. Il comprendra une vaste salle d’audience de 700 places dont 400 avocats et 44 journalistes. Trois salles d’audience annexes permettront à 830 personnes de suivre les débats par vidéo-transmission. Rien n’a été négligé. L’aménageur a prévu une salle de repos pour les victimes, une salle des témoins, une salle de délibéré, une salle de presse, un greffe dédié composé de 30 fonctionnaires. La logistique qui n’est pas sans rappeler celle mise en oeuvre pour le procès AZF (2.600 parties civiles) est à la mesure d’un dossier qui compte plus de 110.000 côtes et qu’il a fallu numériser (4 CD-Rom)pour en assurer la communication en temps réel à tous les avocats.

Le « Pôle d’audience du Palais de l’Europe » au Parc Chanot à Marseille


Contestation sur le soutien logistique aux victimes

« On est écrasé par la masse des procédures qu’on ne peut plus lire. Le code de procédure pénale n’est pas fait pour les procès  de masse », constate Me Jean Boudot, conseil de Hannelore Font, l’ex-directrice qualité chez PIP. Plus grave, il dénonce l’« implication directe » de la 6ème chambre correctionnelle présidée par Catherine Vieillard, son « soutien logistique apporté aux parties civiles dans l’organisation de la présentation de leurs demandes ».
En amont du procès, la juridiction s’est en effet assurée de la prise en charge des victimes en facilitant le traitement de leurs demandes, en associant l’INAVEM  au plan national, et l’AVAD localement, à l’élaboration de modèles de constitution de partie civile et de fiches d’information téléchageables sur le site du ministère de la justice.
    Cette sollicitation envers les victimes heurte l’avocat en ce qu’à ses yeux elle déséquilibre le procès à venir en induisant déjà des postes de préjudices que la défense réfute. « La manière dont le tribunal s’engage au soutien des parties civiles remet en cause l’égalité de traitement et fait naître un doute sur l’impartialité du tribunal », accuse Me Jean Boudot qui a déposé une requête en suspicion légitime qu’il ne peut signifier que par courriel aux 5.127 plaignantes. Par voie d’huissier, il en coûterait 20.000 euros de frais d’envoi à sa cliente ! 
David COQUILLE