samedi 12 juillet 2014



PARU DANS LA MARSEILLAISE - 9 JUILLET 2014 -

« L'homme qui pleurait », enquête sur un « buzz » historique

Pris à Marseille sur la Canebière le 15 septembre 1940, ce cliché légendaire a une histoire confuse. Malgré l’identification formelle en mars 1949 de ce Marseillais ému aux larmes, contrevérités et légendes ont la vie dure.

Jérôme Barzotti a incarné aux yeux du monde et bien malgré lui le visage de la douleur de la France. Le cliché paru le 3 mars 1941 dans Life bouleverse l’Amérique. Photo : Marcel de Renzis

Ce cliché de la Seconde guerre mondiale tourne à travers le monde. Jusqu’en Chine. « L’homme qui pleure » ou « the weeping Frenchman » ressurgit régulièrement sur les blogs, sites, revues, documentaires, expositions. Les internautes sont convaincus d’une énigme à percer. Où et quand cette photo iconique a été prise ? Paris ? Marseille ? Toulon ? Qui est cet inconnu en larmes ? Succombe-t-il à la joie de la Libération ou est-il anéanti par la débâcle des armées françaises ? 

Des légendes trompeuses se sont développées sur l’histoire un peu confuse de cette photographie. « Il s’agit d’un Parisien pleurant à l’arrivée des Nazis à Paris en 1940 » soutient un blogueur suivant la contrevérité la plus répandue sur la toile qui le tient pour « l’inconnu des Champs-Elysées ». « C’est le premier Parisien fusillé par les Allemands le 23 décembre 1940 et il s’appelait Jacques Bonsergent » ose cet autre websurfeur. « Est-il même un Français ou un émigré italien qui a fui la tyrannie de Mussolini ? » s’interroge un imaginatif plein d’audace sur une page FaceBook dédiée à l’énigme. « Il pleure en voyant les soldats français quitter Toulon pour l’Afrique » soutient mordicus un Américain qui ignore que « l’homme qui pleure » a profondément ému l’Amérique à sa première publication dans Life Magazine du 3 mars 1941, page 29. 

« C’est une photo d’une dépêche de l’agence United Press International prise par George Mejat à Marseille en 1940 à l’entrée des Nazis dans la ville » s’emmêle un commissaire priseur qui a mis en 2007 un tirage aux enchères. La vérité ? Ce cliché de légende est extrait d’un court reportage de Marcel de Renzis, photographe au Petit Marseillais et correspondant de l’agence US Keystone, qui filmait le 15 septembre 1940 la cérémonie d’adieu aux drapeaux sur la Canebière. Le réalisateur Frédéric Rossif en a inséré en 1988 les rushes dans sa fresque historique « De Nuremberg à Nuremberg » au tout début (1’40) du deuxième volet « La Défaite et le Jugement » avec ce commentaire en voix off : « Septembre 40. La France est coupée en deux par la ligne de démarcation. Les drapeaux français s’embarquent pour l’Afrique du Nord à Marseille. Partout dans le monde, la photo de cet homme symbolisera la tristesse et la défaite de la France. » Mais l’image suivante est trompeuse, propice à la confusion. C’est celle de Jacques Bonsergent, le premier fusillé civil parisien. 

Septembre 1940. Voilà quatre mois que l’armistice du 22 juin 1940 a été signée en forêt de Compiègne. Le 24 octobre, Pétain ira serrer la main d’Hitler à Montoire scellant la Collaboration. Marseille est déjà une nasse qui se referme sur des milliers de réfugiés et de soldats perdus. Les hôtels sont bondés. On loue des baignoires pour dormir. Les Nazis ont ordonné la dissolution de régiments français. Le 1er septembre, vingt drapeaux de régiments dissous arrivent en gare St-Charles où un cortège silencieux accompagne les étendards repliés dans leur gaine de cuir. Les passants se découvrent à leur passage vers la Préfecture où ils rejoignent six autres drapeaux de régiments nord-africains qui « en ces heures incertaines » vont embarquer pour Alger. La cérémonie d’adieu du 15 septembre est décrite dans la presse locale comme un pur moment émotion. Une foule s’est massée en ce dimanche dès 10 heures pour voir les 35 drapeaux déployés sortir de la Préfecture, passer rue St-Férréol aux fenêtres pavoisées, descendre la Canebière pour atteindre le vieux port où six autres étendards des régiments d’Afrique du Nord sont montés dans un navire qui largue les amarres pour Alger sur l’hymne de La Marseillaise. 




Le Petit Marseillais bientôt collaborationniste titre « Adieux aux drapeaux » et décrit l’ « atmosphère de douloureuse apothéose » qui « étreint les coeurs, mouille de larmes bien des yeux ». « De nombreux spectateurs éclatent en sanglots tant cette minute est chargée d’émotion. » Marseille-Matin parle de « drapeaux présentés à la vénération de la foule » où « tant d’yeux pleuraient sous l’effet d’une émotion intense ». Puis le cortège remonte la Canebière.

Le Petit Marseillais du 2 sept 1940
Marseille-Matin du 16 sept 1940


















Le Petit Marseillais du 16 sept 1940


C’est à cet instant que la caméra de Marcel de Renzis capture « l’homme qui pleure » devant la Bourse. Le cortège se poursuit boulevard de la Madeleine (rebaptisé de la Libération), boulevard National pour finir à la caserne du Muy où les drapeaux sont conservés telles des reliques. Marcel de Renzis envoie sa pellicule au correspondant de Keystone à Vichy. Pour déjouer la censure, elle est confiée à un diplomate étranger qui une fois à Lisbonne la met dans l’avion pour New-York où elle sera largement diffusé. Elle parait dans Life Magazine du 3 mars 1941 dans la rubrique « Photo de la Semaine », puis est publiée le 30 mars 1941 en zone libre à la Une de l’hebdo « 7 Jours » avec en titre intérieur « Les drapeaux s’en vont, un Français pleure ».

"A Frenchman sheds tears of patriotic grief
 as flags of his country's lost regiments are exiled to Africa"
La "Photo de la Semaine" dans Life est parfaitement légendée comme ayant été prise à Marseille

"7 Jours" du 30 mars 1941, hebdo 
national imprimé alors à Lyon. 
La larme est visiblement exagérée sur le cliché
 
Page intérieure de "7 jours" du 30 mars 1941






















Le quiproquo avec « l’inconnu des Champs-Elysées » s’installe avec le film de propagande de l’US Army « Diviser et conquérir » de 1943. Son 3ème volet « Pourquoi nous combattons » (Why We Fight) réalisé par Frank Capra insère « l’homme qui pleure » à la 54’50 entre deux vues de Paris. Ce qui fera dire que « l’authenticité de la scène est incertaine et pourrait avoir été reconstituée avec acteurs et figurants en studio » ! On la retrouve en 1944 dans « Depuis 1939 » une brochure de propagande de l’Office d’information de guerre des Etats-Unis sous une photo de l’Arc de Triomphe avec les troupes allemandes.

Brochure de propagande. Office d'Information de Guerre
des USA. US603 FR. Non datée. 1944 ?
         En mars 1949, la NBC se met en tête de retrouver « l’homme qui pleure » classé alors dans les cinq meilleurs clichés au monde. L’Ambassade de France à Washigton prend contact avec France-Soir. C’est la course avec Reuter qui prévient son correspondant à Marseille Jean-Marie Audibert, lequel fonce au Provençal où Renzis travaille. Ce dernier se souvient bien avoir envoyé un film en 1940 mais ne se souvient pas de « L’homme qui pleure ». On réveille Gaston Defferre le patron du Provençal qui accepte de passer le portrait à la Une du 13 mars 1949 avec ce titre « L’Amérique recherche ce Marseillais qui pleurait ».


Le Provençal du 103 mars 1949
Le Figaro 14 mars 1949
Le Provençal du 14 mars 1949

Le lendemain, Stefano Bistolfi (1909-2000), ancien gardien de but de l’OM dans les années 30, le reconnaît ! « L’Amérique le cherchait nous l’avons retrouvé », titre Le Provençal bientôt suivi d’articles de France Soir et du Figaro. « L’homme qui pleure » s’appelle Jérôme Barzotti. Il a 59 ans. C’était bien lui aux côtés de Charlotte son épouse, la dame en noir au chapeau incliné. Ce 15 septembre 1940, il a d’ailleurs peut-être sans le savoir croisé Simone Weil la philosophe qui ce jour-là trouvait refuge avec sa famille dans Marseille.

David COQUILLE




« La photo est touchante, 

on est fier de lui dans la famille »

Nous avons retrouvé le neveu de « L’homme qui pleure ». Il nous parle son oncle, un brave négociant en tissus de la rue du Tapis-Vert.



Robert Barzotti, 69 ans, est le neveu de « l’homme qui pleure ». Il vit en Corrèze et croyait jusqu’à notre appel que son oncle Jérôme Barzotti (1890-1976) pleurait de joie au défilé des troupes alliées à la Libération de Marseille. Il a accepté d’évoquer la figure de cet oncle dont il se dit fier et qui n’aima jamais cette célébrité qu’il jugeait imméritée, du refus qui était le sien de se faire la moindre publicité autour de cette photo mondialement connue qui n’a finalement jamais cessé de le poursuivre. Une de ses cousines à Marseille nous a tenu le même discours. « Mon expression était celle d’un homme qui avait le coeur serré par le spectacle auquel il assistait. Je ne faisais du reste que traduire le chagrin de tous les Marseillais qui s’étaient ce jour-là massés sur la Canebière » dira Jérôme le jour de son identification le 14 mars 1949. Il avait déjà vu la photo. En 1948 d’ailleurs, un touriste belge qui l’avait reconnu à Chamonix où il passait ses vacances était venu lui serrer la main. A sa mort, le 27 novembre 1976, Le Provençal avait remis Jérôme Barzotti à la Une, « Le Marseillais qui pleure est mort », se trompant d’ailleurs sur la date du cliché (juillet 1940 au lieu de septembre). 


Comment réagissait votre oncle à la vue de cette photo et du film ?

RB : Il était complètement contre. Il refusait qu’on fasse de la publicité autour de ça. Il n’était pas fier de cette photo. Je ne sais pas si c’est bien d’en parler vu que de son vivant il ne voulait pas. Il m’avait donné son avis là-dessus. Il disait «ils m’ont pris en photo sans que je m’en rende compte mais il n’y avait pas que moi qui pleurait dans la foule ce jour-là ». Il disait que ça aurait pu être quelqu’un d’autres. Les avis sont
partagés dans la famille. Pendant longtemps, on n’en a plus parlé jusqu’à son décès où les journaux l’ont de nouveau publiée.

Vous pouvez nous parlez de lui, de sa personnalité ?

RB : C’était le frère de mon père. Il était l’aîné de deux frères. Il était d’origine corse. Son père était né à Marseille mais d’une famille d’Ajaccio et sa mère était de Bonifacio. C’est bien Charlotte sa femme que l’on voit sur sa gauche sur la photo avec son chapeau noir. Ils n’avaient pas eu d’enfants. Il habitait 59, boulevard Hugues à Saint-Barnabé (12e) dans une villa où j’ai passé une bonne partie de mes vacances.

Que faisait-il dans la vie ?

RB : Il était à la tête d’un commerce de tissus. Il avait ses bureaux rue du Tapis-Vert (Ndr : au 15A) à Marseille. Je me souviens qu’il dessinait lui-même les motifs colorés qu’il faisait imprimer pour les revendre à une clientèle en Afrique du Nord. Il avait une âme d’artiste. Il était extrêmement sensible. Il chantait bien, il peignait aussi et écrivait des poèmes. Il a toujours été très élégant comme on le voit sur la photo.

Quel est votre sentiment en revoyant cette image ?

RB : La photo est touchante. On est fier de lui dans la famille. C’est vrai qu’on était un peu contre quand on le voyait. C’était un homme très discret. A son décès, l’oncle apparaissait partout dans les journaux alors qu’il n’a jamais accepté. C’était quelqu’un de très simple qui ne souhaitait pas se mettre en avant. Mon oncle était quelqu’un d’important pour moi. C’était quelqu’un de très patriotique, de très français. Dans les réunions de famille, on en a parlé. Moi j’étais fier car j’étais patriote comme lui mais on n’en faisait pas non plus un pataquès. Quand j’étais jeune, mon oncle était un peu un exemple pour moi donc je trouvais que c’était bien qu’il lui soit arrivé ça dans la vie. Des Américains étaient venus à une époque jusque dans la rue à Saint-Barnabé pour lui faire des propositions qu’il a toujours refusées d’ailleurs. Il n’y tenait pas du tout.

Vous réagissez comment lorsque vous tombez sur lui à la télé ou sur un site Internet ?

RB : Quand il apparaît sur un film, on est un peu contre car on sait qu’il ne voulait pas. On se dit « Ah si Jérôme voyait ça ! ». Une fois, il est apparu à la télé, on a été surpris. On sait que ça peut arriver.
Propos recueillis par D.C.

Le Provençal du 29 novembre 1976






lundi 23 juin 2014

Gardes sous-traitées à l’hôpital Clairval


Délibéré du 23 juin 2014
Les quatre médecins de Clairval sont déclarés coupables mais dispense de peine à l'égard de chacun avec non mention au casier judiciaire. L'Ordre des Médecins est débouté pour défaut de démonstration d'un préjudice réel et certain.

Article du 27 mai 2014 (La Marseillaise) 

Quatre médecins jugés pour exercice illégal de la... médecine. 

Trois médecins étrangers ont comparu hier pour avoir effectué des gardes le week-end à l’hôpital Clairval sans y être habilités. De 3 à 5.000 euros d’amende dont partie avec sursis ont été requis pour ces délégations de garde illégales par leurs titulaires en nombre insuffisant, pratique assimilée à de l’exercice illégal de la médecine. Le parquet a réclamé de 15 à 20.000 euros d’amende ferme à l’encontre du praticien recruteur « qui en a profité ». « Il y avait c’est une évidence une logique économique dans tout cela », a dit le procureur Ludovic Leclerc. Sentiment partagé par l’Ordre des médecins : « On nous dit qu’il n’y pas assez d’effectifs. La prestation sous-traitée est surtout moins onéreuse. »

« On pourrait même parler de travail dissimulé » 
Une information judiciaire initiée en mars 2008 par une famille après le décès d’un proche au service de réanimation cardiologique  - et clôturée par un non lieu - avait révélé une « sous-traitance » des gardes par les cinq médecins titulaires pourtant inscrits au tableau officiel des gardes tandis qu’un second tableau officieux affiché dans les services mentionnait les noms de médecins étrangers employés dans les hôpitaux publics mais pas encore inscrits à l’ordre. Ces « juniors » du public étaient rémunérés directement par une société commune à ces « seniors » du privé, sans jamais apparaître aux yeux de la direction de la clinique ni de l’Urcam.
Le code de la santé publique est strict : dans les établissements privés, les permanences doivent être assurées par un cardiologue faisant partie de l’équipe médicale du service ou à défaut par un cardiologue connu de la clinique et ayant les diplômes. « Finalement c’est un arrangement. On pourrait même parler de travail dissimulé puisque officiellement vous n’avez pas fait la garde », retient la président Christine Mée qui souligne que non seulement le médecin étranger « faisant office d’interne » a été mis hors de cause dans le décès du patient mais « qu’il n’est pas l’objet de cette audience de remettre en cause les compétences des uns et des autres. Vous apparaissez comme des médecins brillants, compétents et dévoués ».

« C’était une pratique tellement courante dans le public », s’est défendu le Dr. Hage, cardiologue libanais formé en Urkraine et payé 450 euros pour sa nuit de garde. « Je pensais que le titulaire était sur place à l’hôpital sinon je n’aurais pas accepté. Je me suis senti humilié comme jamais de ma vie quand les policiers sont venus chez moi et m’ont menotté. La direction de Clairval devait veiller sur les désignations des gardes. » Protestation identique du Dr. El Kamel, anesthésiste réanimateur tunisien : « On ne m’a pas demandé de certificat d’équivalence ni de licence de remplacement.» La présidente lui rappelle qu’ils étaient seuls et sans assurance civile professionnelle dans des services de réanimation où il peut se passer n’importe quel incident. « C’était sur-sécuritaire à Clairval », répond-il. Situation plus délicate pour son compatriote Guesmi : l’attestation produite indiquait qu’en tant que junior, il ne pouvait faire de  gardes qu’exclusivement dans un établissement public sous l’autorité d’un senior. 
« On les avait assurés qu’ils ne seraient jamais tout seul dans l’établissement », affirme de son côté le cardiologue Alain Cornen qui les a recrutés « par le bouche à oreille en prenant les plus aptes et les plus compétents, sans considérer la nationalité » et en disant ignorer les subtilités de la réglementation...
Délibéré 23 juin. 
David COQUILLE

vendredi 17 mai 2013

« Des ruptures, mais c’est la vie de l’implant »

Le procès PIP a pris fin, laissant Jean-Claude Mas, campé sur la certitude que sa tromperie était sans danger.

18 mai 2013. Le « procès masse de monsieur Mas » s’est achevé hier, suivant la formule de son avocat Me Yves Haddad. Après un mois de débats échevelés, de réquisitoire et de plaidoiries endiablées, le tribunal exceptionnellement délocalisé au palais des expositions du parc Chanot, a mis son jugement en délibéré. Il  sera rendu au tribunal de commerce de Marseille le 10 décembre prochain. Entre temps, le tribunal de commerce de Toulon aura statué, le 7 octobre, sur l’action civile de distributeurs et porteuses d’implants qui réclament 50 millions d’euros au certificateur allemand Tüv, accusé de négligences et qui se dit victimes des manoeuvres frauduleuses de la société PIP.
    Essuyant à l’ouverture du procès le 14 avril dernier les huées de porteuses d’implants remplis de son gel non conforme, celui qui s’était lui même dénommé comme le « grand satan », a pris la parole en dernier, à la différence de ses quatre coprévenus qui ont judicieusement compris qu’il valait mieux se taire. Jean-Claude Mas, lui, ne pouvait repartir sans un dernier pied de nez à la salle, au média et à « ces dames, les patientes, les victimes » qu’il a voulu rassurer et d’étrange manière :  « Le gel PIP, il est pas irritant mais pas du tout, il n’est pas toxique, il n’est pas dangereux », a redit l’homme contre qui 4 ans de prison ferme ont été requis pour tromperie aggravée et escroquerie.
    Au centre de ce scandale planétaire sur 72 pays dont 30.000 françaises et pour lequel 7.545 femmes se sont constituées parties civiles à Marseille, le septuagénaire inoxydable a émis un reproche et un seul envers ses anciens directeurs jugés avec lui. Et cela en disait long sur l’inaltérable conviction que son gel est le meilleur : « J’ai un petit reproche à leur faire : j’ai l’impression qu’ils ont douté en 2009. »  Cette année-là, la recrudescence de prothèses rompues allait conduire au contrôle fatidique et trop tardif de l’Afssaps en mars 2010 et la décision de retrait des prothèses du marché.

«
Mesdames l'anxiété, c’est psychosomatique ! »
    « Il y avait certes des incidents, c’est la vie de l’implant qui est comme ça », a dit Jean-Claude Mas qui avoue la tromperie mais ne cède rien sur le caractère dangereux qu’il dénie. Différentes études semblent lui donner raison. « Tous les tests de biocompatibilité avaient été faits en amont par PIP », ont assuré hier en choeur le patron déchu avec son avocat. C’est pas la faute à son gel « le syndrome d’anxiété qui est devenu du stress, de l’angoisse, de la panique », c’est « psychosomatique » ! « C’est pas un mauvais mot mais c’est incontrôlable», s’empresse d’ajouter le plus sérieusement du monde Jean-Claude Mas, empirique et toujours pas scientifique : « Après un coup du lapin, je prenais du Lexomil, je me levais la nuit, j’avais le syndrome de l’infarct. C’est une maladie sournoise, c’est une horreur ! »
    Son avocat avait concentré son tir sur le ministère public, le taxant de « parquet insuffisamment préparé », contre pied à la formule maladroite car ironique du procureur Jacques Dallest qui avait dit de PIP que c’était la « perspective d’irritation programmée ». « Mas, c’est peut être un charlatan c’est une certitude, mais ses prothèses n’ont tué personne dans le monde », a dit Me Haddad préférant voir dans ce scandale « la faillite d’un système, de l’Afssaps qui a si honte qu’elle a changé son nom, cette agence de sécurité qui ne sécurise rien, ce Tüv qui ne certifie rien. »
David COQUILLE

Une fraude qui n’a laissé personne inactif

Le «ah-j’aurais voulu vous y voir» des cadres de la société replace Jean-Claude Mas au centre de l’accusation

17 mai 2013. Relaxe. Le mot est inaudible des porteuses de prothèses PIP pour lesquelles il signifie déni de souffrances. Loïc Gossart le directeur de la fabrication - après Thierry Brinon son homologue de la recherche & développement la veille - l’a demandée par la voix de Me Roland Rodriguez. Et une « relaxe pleine et entière ». Non que moralement il ne se sente pas responsable, il dit même être « rongé de honte » mais « compte tenu des actions qu’il a menées dans la société, du désaccord qu’il a nettement fait connaître », cet « exécutant » qui « a agi sur ordre » ne doit pas être condamné et sûrement pas à 3 ans de prison dont moitié ferme requis.
    A entendre son avocat, Loïc Gossart « s’est battu » et est de « ceux qui ont agi pour mettre fin à un système. Si se battre doit être considéré comme avoir adhéré sciemment à la fraude, je dis qu’il y en a plein d’autres comme lui qui ne sont pas là ». N’a t-on pas compris que « ce gel, c’est la figure imposée » par Jean-Claude Mas depuis 2001 à ses 120 salariés ?
    « La seule faute que Claude Couty a toujours reconnue, la seule, la vraie, c’est celle d’avoir laissé imposer le marquage CE sur les prothèses », a très clairement admis Me Christophe Mamelli pour le directeur général de la société PIP, celui qui a « mis en place les outils pour briser le système Mas » après avoir appris en novembre 2005 la non conformité du second gel révélé aux autorités en mars 2010. Oui « Claude Couty sait que la société est en infraction » mais « en capitaine de navire », il exclut de démissionner et ne donne pas « l’ordre de stopper immédiatement la fabrication au gel PIP, quitte à mettre au chômage 120 personnes. Pour cela il est coupable. » Reste que « Claude Couty n’a pas été l’acteur ou le complice passif et sans âme d’un scandale sanitaire. Il a agi en conscience avec les éléments dont il disposait. »
    Le combat de Me Christophe Bass pour ce même prévenu menacé de 4 ans de prison dont 2 ferme, ce n’est pas de convaincre ceux qui « n’ont rien voulu comprendre » mais à tout le moins d’ « empêcher que la justice ne soit guidée que par les sirènes de la douleur et de la vindicte des parties civiles ». « La tromperie n’est pas aggravée ce qui ne veut pas dire qu’elle n’est pas grave », nuance l’avocat qui lave du pêché originel tous les  lots traçables de prothèses produites à compter de janvier 2006 avec du bon gel homologué, ce qui libère « 7684 femmes » de tout préjudice d’anxiété. Et Couty aussi d’un poids indemnitaire équivalent.

« Vous chasserez l’opinion publique qui a déjà jugé »

    De répéter que l’usage du gel non conforme n’a pas eu « pour conséquence de rendre l’utilisation de la marchandise dangereuse pour la santé ». D’asséner une vérité hospitalière à moitié tue : « Le risque (de rupture) est inhérent à tout dispositif médical implantable au gel de silicone. » La prothèse mammaire, « c’est de toute façon un produit dangereux. » Son élève avocat François Mazon  (ex-grand dirigeant d’entreprises) relayait son credo dans une première et puissante plaidoirie : « Toutes les prothèses au silicone sont dangereuses car toutes sont susceptibles d’être explantées, de rompre, de transsuder. Ce n’est pas une agence nationale qui le dit, c’est le corps qui crée une coque pour s’en protéger, et ce quelle que soit la marque des prothèses. » L’innocuité du gel est une « certitude » et « s’il demeurait des doutes, ils doivent profiter à Claude Couty. Le doute est un moteur pour les scientifiques. Dans le monde du droit, c’est une garantie pour celui qui est accusé.» De bouter les donneurs de leçons. « Ah comme je les envie ceux qui savaient ce qu’ils auraient fait à sa place, ces généraux par temps de paix, ces supporters de la victoire ! » D’expulser de la pensée des juges « l’opinion publique qui a déjà jugé » avec les mots de Me Moro-Giaferri en 1913 : « L’opinion publique, cette prostituée, qui tire le juge par la manche, vous la chasserez et vous ne retiendrez pas la circonstance aggravante ! »
David COQUILLE

mardi 14 mai 2013

« Les bénéfices pour la société, les risques pour le patient »

4 ans de prison ferme requis contre Jean-Claude Mas, « apprenti sorcier des prothèses » et « pierre angulaire d’une fraude massive »

A l’issue de quatre heures de réquisitoire à deux tons, des peines dosées de prison ferme ont été requises à l’encontre des cinq dirigeants de la société Poly Implant Prothèses. « Il faut que vous réfléchissiez dans une cellule à cette triste odyssée commerciale », a lancé le procureur de la République de Marseille, Jacques Dallest en demandant 4 ans de prison ferme et 100.000 euros d’amende pour Jean-Claude Mas, 72 ans, « l’instigateur parfait » de cette vaste tromperie aggravée doublée d’escroquerie qui a prospéré entre 2001 et mars 2010 à travers 71 pays et pour laquelle 7.445 porteuses d’implants PIP se sont constituées parties civiles.
    De décrire le septuagénaire comme « le formulateur fou, le créateur d’un produit inacceptable, l’apprenti sorcier des prothèses, l’alchimiste sourd aux conséquences, cynique vis à vis des porteuses. » Celui qui « dosait à la louche » son gel empirique fait d’huile industrielle pour sortir 130.000 prothèses par an de son usine, n’était même pas un scientifique : « Comme ceux qui cherchent l’oeuvre parfaite, la pierre philosophale, lui il attend toute sa vie le gel parfait. »

« Un monstre silencieux qui a dévoré tant de femmes »

    4 ans dont 2 avec sursis et 50.000 euros d’amende sont requis à l’encontre du président du directoire, Claude Couty, « financier faible et complaisant, exécuteur des basses oeuvres sans lequel cette machinerie n’aurait pu se terminer dans le désastre. » Pour ce duo, la même interdiction définitive d’exercer dans le secteur sanitaire et médical et celle de gérer à tout jamais une entreprise.
    Ce « scandale planétaire » sur des implants au « potentiel de danger majeur », le vice-procureur Ludovic Leclerc le résumait avec brio : « On a là un système de fraude massif au préjudice de milliers de femmes, une tromperie comme on en a rarement vu, tout ça pour permettre à une société de vivre, à des salariés de toucher leur paye, à un retraité de toucher ses jetons de présence.» D’une formule, il résume l’équation frauduleuse : « Les bénéfices c’est pour la société, les risques, c’est pour les patients. Voilà comment fonctionnait PIP. » Au final, « l’histoire du gel de M. Mas, c’est celle d’un monstre silencieux qui a dévoré l’intérieur de tant de femmes dans le monde. C’est l’histoire d’un homme qui s’est tellement identifié à son gel que reconnaître que son gel est moins que rien serait une forme d’auto-destruction.»
    Ce scandale ne lasse pas d’interroger : « Comment une société aussi régulée a laissé grandir ce type de fraude ? Comment des prévenus qui ont un parcours de vie banal, qui n’avaient pas vocation à s’inscrire dans la délinquance, par des renoncements, des arrangements avec leur conscience ont accepté l’inacceptable ? » Au premier rang des complices, Hannelore Font : 3 ans dont 1 avec sursis visent la singulière directrice de la qualité qui « incarne à ce point la fraude », celle qui a « allumé la mèche lente qui allait exploser chez les porteuses. » 3 ans dont 18 mois avec sursis sont demandés contre Loïc Gossart, « le fabricant aux regrets tardifs. » « Mais enfin, il y a des femmes au bout de a chaîne de production ! » lui assène le procureur. 2 ans dont 18 mois avec sursis sont requis contre le directeur de la recherche de la société de la Seyne -sur-Mer, Thierry Brinon, un « technicien aveugle et muet » qui s’est « voilé la face en se tenant à distance de la salle blanche où l’on fabriquait ce mélange infernal ». Le trio se voit aussi réclamer l’interdiction définitive d’exercer dans ce secteur.
    Le parquet a demandé au tribunal de rejeter la constitution de partie civile de l’ex-Afssaps, victime à ses yeux d’un simple préjudice d’image. Le procès débuté le 17 avril se poursuit avec les plaidoiries de la défense jusqu’à vendredi. « Votre décision est attendue. Elle fera date » a souligné le parquet.
David COQUILLE

lundi 13 mai 2013

Un médecin régulateur du SAMU jugé pour homicide involontaire

Sabrina, 25 ans, est décédée d’un syndrome rare. La faute au Centre 15 d’avoir mésestimé l’urgence vitale ?  

Une régulatrice du centre de régulation du premier SAMU de France a comparu hier, 13 mai 2013, pour homicide involontaire, accusée d’avoir pris des décisions inadaptées face à une situation de détresse vitale. « Si je n’avais pas appelé le SAMU, ma fille serait vivante ! Elle a même pas voulu m’envoyer les pompiers ! Je m’en veux à cause d’elle ! », s’est écriée la maman en larmes.
    13 février 2009. Après des vomissements et des diarrhées, Sabrina, 25 ans, s’évanouit. Sa mère, infirmière, fait le «15» et décrit à 22h34 l’état de sa fille inconsciente, les yeux révulsés et qui respire à peine. L’appel enregistré est transféré par le permanencier au médecin régulateur avec la mention "malaise avec perte de connaissance". « Pour moi, c’était un cortège de symptômes qui accompagne une gastro-entérite. Il y a avait une épidémie », soutient Michaële A., 39 ans qui justifie n’avoir dépêché qu’un médecin de garde. L’autopsie révélera un syndrome cardiaque de Wolf Parkinson White nécessitant un «SMUR Flash», soit le démarrage immédiat d’une ambulance respiratoire. « J’avoue ne pas avoir entendu qu’elle était inconsciente. C’est pour ça que je ne l’ai pas classée en R1 », vacille la régulatrice qui se ressaisit : « Aujourd’hui, j’aurais quand même demandé à un médecin de la voir. »

« Vous prenez un Lexomil et vous vous calmez ! »
    A 22h56, toujours personne, la  mère rappelle : « Elle respire plus. On dirait qu’elle a des râles, vite, s’il vous plait. Vite, son état s’est aggravé, je ne sens pas son pouls. » Réponse sans gants de la régulatrice : « Si elle a plus de pouls et qu’elle respire plus, c’est qu’elle est morte. On se calme, on se calme, on se détend. Faites lui mal pour voir si elle réagit. » Et avant de raccrocher : « La télé-transportation, ça n’existe pas encore. On passe pas encore par le fil du téléphone ! Vous l’allongez et vous lui remontez les jambes. Vous prenez un Lexomil et vous vous calmez ! » La présidente, Julie Heisserer s’étonne : « On n’a pas une famille agressive. Au contraire ils sont très polis, s’excusent de déranger. Vous demandez qu’on pince la patiente et vous ne vous intéressez pas à la réponse. » Mais la toubib n’en démord pas : « On n’a que 6 ambulances respiratoires. Quand la situation est inévaluable, on n’envoie qu’un VSAB. Je reconnais avoir été un peu brusque mais cela n’aurait  malheureusement rien changé. » Plus tard elle fend un peu l’armure : « Je ne suis plus urgentiste. On se remet en question, ce n’est pas évident. J’ai eu un problème cérébral. C’est un désastre. On a tous souffert. »
    Les marins-pompiers mettront 6 minutes pour arriver à 23h15 dans le 13ème : « On tient un pouls. Y a 2 minutes on avait que dalle. Il faut une ambulance respiratoire », réclame le sauveteur par radio. Le  SAMU se perd et arrive à 23h33. Le parquet a réclamé de 4 à 6 mois avec sursis, s’appuyant sur l’avis d’experts pour qui « l’urgence vitale est déjà nettement caractérisée » et l’attitude devant une « situation de haute gravité » n’a pas été conforme au principe de précaution justifiant le démarrage d’une unité de réanimation. « 1800 appels par jour, c’est 2mn par personne ! Quelle responsabilité d’avoir en main et sur la conscience la vie des autres ! Le Samu, c’est pas une science exacte. Elle n’a jamais manqué à ses diligences ! », ont plaidé en relaxe Me Stéphanie Le Devendec et Me Fabrice Giletta.
Délibéré le 3 juillet.
David COQUILLE

Les juges sauvent les « Voix du Gaou »

La cour valide le seuil de survie de 100 décibels pour le festival de Six-Fours

11 mai 2013. La justice vient d’enjoindre la commune de Six-Fours-Les-Plages de se mettre en conformité avec les normes acoustiques pour le prochain festival « Les Voix du Gaou » du 16 au 26 juillet qui se tient sur l'île. La cour administrative d’appel de Marseille ordonne par ailleurs au maire de « prendre les mesures nécessaires pour faire cesser les nuisances sonores (…) dans les délais les plus brefs, et au plus tard avant l'édition de l'année 2014. » Cette décision rendue le 2 mai n’engage pas la survie de ce grand festival qui attire plus de 40.000 personnes chaque année.
Les juges d’appel reconnaissent en effet au maire un « pouvoir de réglementation autonome » en fixant la valeur maximum de diffusion sonore à 100 dBA dans la zone destinée au public du festival. » La demande d’abaisser à 90 dBA aurait été une condamnation à mort du festival en raison de l’impossibilité technique de parvenir à ce seuil.
La cour a donc suivi l’avis du rapporteur public exprimé lors des débats publics le 11 avril 2013. Le rapporteur, M. Salvage, avait considéré qu’une mesure d’interdiction totale serait « disproportionnée » eu égard à une manifestation culturelle qui « répond à l’intérêt général ». La cour prend d’ailleurs soin de préciser que « l'exécution du présent arrêt ne saurait impliquer nécessairement la suppression du festival "Les voix du Gaou", ni son déplacement sur un autre site, ni de mesures particulières en matière de circulation sur la corniche. » 
Le festival est aujourd’hui exploité en délégation de service public et ses organisateurs ont pris des mesures propres à diminuer les nuisances sonores : adoption d’un nouveau système de diffusion des fréquences graves, nombre d’enceintes porté de 18 à 9, axe de diffusion acoustique réorienté de 90 degrés vers la mer, annulation des concerts en cas de vents trop forts, etc.
La commune devra dédommager le riverain pour le préjudice subi entre 2006 et 2012 à hauteur de 15.000 euros. Il prétendait à 25.000 euros. Les juges ont considéré qu’« en ne prenant pas les mesures nécessaires pour faire cesser les nuisances sonores » alors que le préfet l’avait informé d’une pétition de riverains en août 2005, la commune a commis une « faute de nature à engager sa responsabilité » d’autant que le préfet l’avait averti « qu'en cas de carence de l'autorité municipale dans l'exercice de ses pouvoirs de police, la responsabilité de la commune pouvait être engagée. »
David COQUILLE